Nouveau champion mondial de l'obésité après avoir détrôné les États-Unis, le Mexique s'alarme des ravages causés par l'excès de poids. Le gouvernement annonce un impôt spécial sur les boissons gazeuses, dont la population abuse dès le plus jeune âge. Mais les experts mexicains soulignent l'échec de tout un modèle alimentaire et agricole.

«Boire de l'eau? Non! Avec les tacos, il faut boire du soda, sinon ils n'ont pas de goût.» C'est ce qu'affirme Alejandro, qui tient une petite échoppe de tacos de carnitas, de la viande de porc frite, au coin de la grande avenue Insurgentes, à Mexico. Dans le seau rempli de glace qui trône sur son comptoir, pas d'eau en vente, seulement des bouteilles de boissons gazeuses multicolores, les fameux refrescos (boissons gazeuses) dont raffolent les Mexicains.

Un peu plus loin, au magasin Oxxo - une chaîne d'épiceries de type "dépanneur" qui appartient au groupe Coca-Cola et qu'on trouve à chaque coin de rue jusque dans les régions les plus reculées du pays -, la bouteille d'eau de 500 ml coûte 9 pesos (0,70 $ CAN), 1 peso de plus que 600 ml de soda. Au Mexique, l'eau coûte toujours plus cher que n'importe quel refresco.

Record mondial de l'obésité

Ces boissons gazeuses sucrées sont devenues la principale cible de l'offensive annoncée par le gouvernement mexicain contre l'excès de poids qui décime la population. Le sursaut a eu lieu en juillet, lorsqu'un rapport de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a attribué au Mexique le record mondial de l'obésité... devant les États-Unis! Un cap fatidique était franchi.

Or, cette annonce est seulement venue raviver l'alerte à l'épidémie lancée depuis plusieurs années par les experts. Ceux-ci ne se lassent pas de répéter que sept Mexicains sur dix souffrent d'excès de poids ou d'obésité. Le diabète, l'une des nombreuses maladies qui en découlent, cause 70 000 morts par an dans le pays.

Taxe spéciale

En septembre, le président Enrique Peña Nieto a annoncé qu'une taxe spéciale sur les boissons sucrées serait intégrée à la prochaine réforme fiscale «dans le but de protéger la santé des Mexicains». Cette taxe, qui s'élève seulement à 1 peso par litre, a soulevé l'ire des fabricants de sodas, qui dépeignent un scénario catastrophique, selon lequel des milliers d'emplois et de petits commerces seront en péril. Les ventes de boissons gazeuses vont-elles réellement baisser de manière draconienne? «Même si les refrescos doublent de prix, nous continuerons d'en boire, c'est ce que nous aimons», explique Guillermo Carrillo, ouvrier de 42 ans, au moment de sa pause déjeuner.

La sénatrice Marcela Torres Peimbert, principale promotrice de cet impôt, est convaincue que cette mesure ne suffira pas. «Nous voulons interdire la consommation de sodas dans les écoles et utiliser l'argent récolté par cet impôt, environ 13 milliards de pesos par an [1 milliard CAN] pour installer des fontaines d'eau potable dans tous les centres scolaires et les communautés rurales du pays.»

L'eau peut-elle gagner ce bras de fer avec le soda alors que les fritures et les croustilles remplacent peu à peu le frijol (haricot), le maïs et le nopal (cactus) dans l'alimentation quotidienne des Mexicains? C'est la question posée par le docteur Abelardo Avila, de l'Institut national de nutrition, qui dénonce «une oxxoisation du pays», en allusion à la prolifération de ces magasins qui ne vendent que des aliments industriels caloriques et bon marché.

«L'État a abandonné l'agriculture traditionnelle et accordé des exemptions fiscales impressionnantes à l'industrie qui produit les aliments les plus nocifs pour la santé", explique-t-il. Grâce à ces bénéfices, ces entreprises ont établi un réseau de distribution tentaculaire. «Dans les zones rurales, le jour où les plus pauvres perçoivent leurs allocations sociales, le magasin de malbouffe est pris d'assaut, dit le docteur Avila. On ne peut pas culpabiliser les obèses, et en particulier les enfants, alors que c'est tout un système qui ne leur laisse pas de solution de rechange.»

D'après ce spécialiste, «l'obésité est extrêmement agressive au Mexique, car elle provient d'une dénutrition dès l'enfance». Les enfants mal alimentés d'aujourd'hui sont les obèses de demain. Dr Avila parle d'un «séquestre du palais dès l'enfance». Le refresco, en effet, est omniprésent dès le biberon.

L'OBÉSITÉ MEXICAINE EN CHIFFRES

32,8 % de la population est obèse, soit 1 % de plus qu'aux États-Unis.

70 % des adultes mexicains et 31 % des enfants souffrent d'excès de poids. Ces chiffres ont triplé en 20 ans.

150 milliards de pesos (12 milliards CAN) par an : le coût que causera cette épidémie au système de santé mexicain à partir de 2017.

163 litres par personne et par an. Le Mexique est le plus grand consommateur de boissons sucrées au monde.