Les «narcocorridos», ces chansons qui font des barons de la drogue des idoles populaires, sont de nouveau dans la ligne de mire des autorités. La ville de Chihuahua, dans le nord du pays, a conçu un système d'amendes préventives pour dissuader les chanteurs d'entonner ces refrains en concert. Mais rien n'entame le succès de ce style musical controversé...

Chapeau de cowboy, chemise à strass et bottes en crocodile, il chante les aventures, à la vie, à la mort, des célèbres narcotrafiquants de sa région. El Komander est une star de la musique norteña, rythmes entraînants typiques du nord du pays, sur lesquels il encense le style de vie criminel. À la fin du mois de juillet, la ville de Chihuahua l'a sommé de renoncer, lors de son concert, aux narcocorridos. Sinon, il devait payer une amende. El Komander a payé: ses 3000 fans lui réclamaient ses tubes.

Cent mille pesos (environ 8000 $): c'est l'amende record imposée ce jour-là par la mairie de Chihuahua, qui oblige désormais les groupes musicaux à déposer cette somme sous forme de caution avant de se produire en concert. S'ils ne chantent pas de narcocorridos en public, l'argent leur est restitué.

«La majorité de la population rejette ces chansons qui font l'apologie des armes, de la drogue et de la mort», explique Gerardo Valencia, fonctionnaire à la mairie de Chihuahua. Il assiste à tous les concerts pour recenser les violations de la loi. «La tâche est aisée, car ces chansons sont explicites», remarque M. Valencia. Pour El Komander, la mesure n'a toutefois pas été dissuasive.

«Depuis 30 ans, on tente de censurer les narcocorridos. Mais jusqu'à présent, la prohibition leur a plutôt fait de la publicité", analyse Juan Carlos Ramírez-Pimienta, chercheur à la San Diego State University - Imperial Valley et spécialiste de l'étude de ce genre musical.

Déjà interdits de diffusion à la radio et à la télévision, les narcocorridos prospèrent sur l'internet. Plusieurs États ont tenté d'empêcher leur diffusion dans les lieux publics. Mais en février, la Cour suprême mexicaine a annulé le décret promulgué en ce sens dans l'État du Sinaloa, berceau du genre. Pour M. Ramírez-Pimienta, l'interdiction est vaine. En effet, «les narcocorridos sont une chronique de l'explosion de violence des dernières années et, même s'ils comportent une part de fantaisie, ils nous aideront, plus tard, à comprendre ce qui s'est passé".

Comme un «journaliste»

El Komander, Alfredo Ríos de son vrai nom, partage complètement cette analyse et se compare à un journaliste. «Je décris la réalité qui m'entoure. Je n'encourage pas la violence et je n'admire pas les narcos, mais lequrs histoires m'inspirent. C'est notre culture locale. Je suis comme un bulletin d'informations, mais en chansons», explique-t-il en entrevue téléphonique avec La Presse, depuis le Sinaloa.

Cependant, il avoue qu'au début de sa carrière, comme d'autres compositeurs, il a accepté la commande d'un narcotrafiquant qui désirait une ode à sa gloire: c'est d'ailleurs l'un de ses grands succès, El Katch. «Mais aujourd'hui, je suis libre d'écrire les chansons que je veux.» Il affirme prendre ses distances avec cet univers pour des raisons de sécurité. Au cours des dernières années, une dizaine d'interprètes de narcocorridos ont été assassinés, parfois victimes de leur art, d'une chanson qui n'a pas plu au cartel adverse.

La tournée d'El Komander comporte autant de dates au Mexique qu'aux États-Unis, où il affirme compter la plupart de ses fans. En 2011, Los Tigres de Norte, les parrains du genre, ont enregistré leurs classiques lors de leur propre séance MTV Unplugged, signe du succès de ces chansons de l'autre côté de la frontière. «Tant qu'il y aura des narcos, il y aura des corridos», dit-on au Mexique.