Il y a 40 ans, jour pour jour, le Chili plongeait dans la violence à la suite d'un coup d'État militaire. Ces événements, qui ont coûté la vie à plus de 3000 personnes (incluant le président Salvador Allende) peuvent sembler lointains. Mais pour des milliers de Chiliens qui ont souffert de la dictature, le 11 septembre 1973 est loin d'avoir été oublié. C'est le cas d'Hortensia Olivares Agurto, qui a perdu son mari dans les mois qui ont suivi le putsch.

« Tous les jours, c 'était la peur, raconte Hortensia. Surtout pour Raúl. C'était un militant. Il luttait contre le régime. Il aidait des gens à s'enfuir ou à se cacher. Parfois, je ne le voyais plus pendant plusieurs nuits. J'étais enceinte. Je vivais dans une inquiétude monstre.» Et puis un jour le pire est arrivé, Raúl n'est pas rentré à la maison.

« La police est venue chez moi, ils m'ont dit qu'ils cherchaient mon mari. Ils m'ont interrogée. J'ai tout nié. Ils ont fini par me dire qu'il y avait eu une confrontation avec des extrémistes et qu'il avait été tué. J'ai su plus tard qu'il s'était asphyxié dans son vomi...» Marcelo Solervicens a eu plus de chance. Étudiant en médecine et membre du MIL (mouvement de gauche socialiste), le jeune homme a été arrêté quelque temps après le putsch. Mais contrairement à Raúl Olivares, il s'en est sorti vivant...

«On m'a torturé de toutes les façons, raconte-t-il. On m'a battu. On m'a électrocuté. On m'a noyé. On m'a fait croire qu'on me tirait dessus. Après, j'ai eu un procès et on m'a condamné à la prison à vie. Ils ne faisaient pas dans la dentelle... mais ils ne m'ont pas brisé.»

Le 28 septembre 1975, son épreuve a pris fin. À la faveur d'une entente entre le Canada et le Chili, Marcelo Solervicens a quitté le pays pour Saskatoon, où il a vécu quelque temps avant de venir s'établir à Montréal.

Deux mois plus tard , Hortensia Olivares prenait le même chemin. En novembre, la jeune femme débarquait au Canada avec sa fille de 2 mois, bien décidée à poursuivre le travail de son défunt mari.

Une communauté soudée

Entre 1973 et 1980, près de 3000 Chiliens se sont exilés au Québec pour fuir la dictature militaire du général Augusto Pinochet.

Cette vague de réfugiés politiques a jeté les bases de la communauté latino-américaine du Québec. Mais on a tendance à oublier que l'arrivée de ce premier contingent résulte du hasard plutôt que d'un choix délibéré.

Il faut savoir que le Canada n'était pas très ouvert à la résistance «gauchiste ». Sans l'aide d'un certain Marc Dolgin, premier secrétaire à l'ambassade du Canada à Santiago, il est probable que les premiers demandeurs d'asile auraient abouti ailleurs. En l'absence de l'ambassadeur retenu en Argentine le jeune diplomate avait pris l'initiative de faciliter leur évacuation.

Les réseaux catholiques ont également joué un rôle capital, souligne Jose del Pozo, auteur du livre Les Chiliens du Québec (Boréal) et professeur d'histoire à l'UQAM.

« Avant le coup d'État, le Québec ne disait rien aux Chiliens, explique M. Del Pozo. Ça ne figurait pas dans notre imaginaire... Si c'est soudainement apparu comme une destination possible, c'est à cause du travail fait par les oblats au Chili. Ce facteur a été déterminant dans la venue de réfugiés politiques au Québec.»

S'installant essentiellement dans la grande région de Montréal, les premiers exilés se sont tout de suite impliqués dans la résistance à distance. Ils ont organisé des manifestations, des opérations de solidarité (grèves de la faim), des soirées spéciales pour récolter des fonds et ont inondé les journaux de messages anti-Pinochet.

Ces activités de propagande ont créé un grand esprit de cohésion dans la communauté chilienne de Montréal et du Québec, affirme M. Del Pozo. Sans compter qu'elles ont probablement eu un certain impact. « Ces pressions ont peut-être sauvé des vies. C'est difficile à mesurer. Mais cela a certainement donné une image très mauvaise de la dictature à l'étranger.»

«Pardonner ? Pas question»

Vingt-trois ans après la fin officielle de la dictature, la résistance est forcément plus modérée. Plusieurs Chiliens de Montréal se sont réconciliés avec leur pays d'origine, sans pour autant retourner y vivre, ne serait-ce qu'à cause de leurs enfants, devenus avec le temps 100% québécois.

D'autres, en revanche, n'ont pas arrêté le combat. Même si Pinochet n'est plus qu'un mauvais souvenir, ils considèrent que le dossier n'est pas clos, tant sur le plan politique que sur celui des droits de la personne. Comme le dit si bien M. Del Pozo, «la situation est calme, mais parfois, les blessures réapparaissent ».

Hortensia Olivares, elle, n'a jamais vraiment guéri ses plaies. Contrairement à ceux qui ont passé l'éponge, elle continue de lutter au sein du Comité chilien pour les droits humains. «Le dossier de mon mari est à la cour. Les gens qui l'ont tué sont toujours libres dans la rue. Ils doivent payer pour ce crime. Tant qu'on n'aura pas obtenu ça, je n'arrêterai pas de dénoncer. Pardonner ? Pas question », tranche-t-elle.

« C'est sûr que ça nous poursuit , ajoute Marcelo Solervicens, qui est aujourd'hui de l'Association internationale des radios communautaires. C'est ce qui fait je suis toujours engagé politiquement. Mais ça ne nous rend pas meilleurs pour autant. On doit simplement accepter avec humilité qu'on ne pourra jamais s'affranchir de ça.»

« Quarante ans , c 'est beaucoup d'années, ajoute Hortensia, en regardant la photo de son mari, déposée sur le piano. Mais je me battrai jusqu'au dernier jour. Les gens qui ont donné leur vie, il ne faut pas les oublier...»

L'événement souligné dans la métropole

Récupération de la mémoire collective: Chili 1973-2013

Conférences, lectures, projections, témoignages, spectacles et expo de photos. Du 9 au 14 septembre de 10h à 20h au 3720, avenue du Parc, 2e étage. Info et programmation détaillée: surchileddhh@yahoo.com.

Spectacle: Commémoration du 40e anniversaire du coup d'État et de la mort du président Salvador Allende

Avec Acalanto, Fusion Folklorica Rayen, Color Violeta et autres. Le 11 septembre 19h au Gesù.

Colloque: 40 ans de lutte pour la démocratie

Deux jours de conférences et réflexions sur le Chili en particulier et l'état de la démocratie en général. Les 12 et 13 septembre, de 9h45 à 16h, Salle des boiseries (local J-2805) à l'UQAM.

Cinéma: cycle Chili 73-13

Projections de films autour du coup d'État et de la dictature, incluant des oeuvres des réalisateurs québécois d'origine chilienne, Patricio Henriquez (Le dernier combat de Salvador Allende) et Leopoldo Guttierez (Le soldat qu'il n'était pas). À la Cinémathèque, les 12 et 13 septembre, 18h30.