Le Chili a commémoré mercredi le coup d'État qui renversa voici 40 ans le gouvernement socialiste de Salvador Allende, une journée émaillée d'incidents, mais aussi d'appels à la réconciliation et de moments de recueillement, dans un pays encore divisé par le legs d'Augusto Pinochet.

«Le temps est venu, après 40 ans, non pas d'oublier, mais de surmonter les traumatismes du passé», a notamment déclaré le président Sebastian Piñera lors d'une cérémonie religieuse au palais présidentiel de La Moneda, en appelant à une «réconciliation nationale».

«Le meilleur héritage que nous puissions laisser à nos enfants est de leur confier un pays réconcilié et en paix», a poursuivi M. Piñera, premier président de droite du pays depuis le retour à la démocratie, en 1990.

Le président chilien a réitéré sa condamnation des responsables directs des violations des droits de l'homme au Chili, mais aussi «de ceux qui auraient pu faire davantage parce qu'ils exerçaient des responsabilités et simplement ne l'ont pas fait».

Parallèlement aux cérémonies gouvernementales, la gauche chilienne rassemblée autour de l'ex-présidente socialiste Michelle Bachelet, candidate à la présidentielle du 17 novembre, a également marqué ces jours derniers l'anniversaire du coup d'État avec diverses commémorations, dont des visites au Musée de la Mémoire et à la Villa Grimaldi.

Dans ce centre de détention où elle-même et sa mère ont été torturées il y a 40 ans, Mme Bachelet a plaidé pour la «construction d'un pays capable d'avancer de manière plus juste et égalitaire».

Mercredi, au pied d'une statue érigée en l'honneur de l'ancien président Allende devant le palais présidentiel où il s'est suicidé le 11 septembre 1973, sa fille, la sénatrice Isabel Allende, a assuré que son père «se serait senti fier de voir les étudiants dans la rue, exigeant une éducation de qualité et gratuite».

Isabel Allende a également exigé «vérité et justice» pour les plus de 3200 morts et 38 000 détenus et torturés de la dictature du général Pinochet (1973-1990).

«Si nous comparons ce 40e anniversaire avec le 30e, nous n'avions pas vu jusqu'à aujourd'hui cette multiplication de débats, d'analyses, de commentaires suscitant autant d'intérêt», relève pour l'AFP le politologue de l'Université du Pacifique Patricio Guajardo.

«C'est toute la génération des petits-enfants des protagonistes de 1973 qui osent demander à leurs grands-parents le pourquoi et le comment de ce qui s'est passé, et réclament le droit de savoir et de juger en accord avec leurs principes», estime quant à lui l'analyste Cristobal Bellolio.

À deux mois du scrutin présidentiel, c'est également l'avenir du modèle ultra-libéral hérité de la dictature qui est en jeu.

Michelle Bachelet, la candidate de gauche, demeure la grande favorite de la présidentielle du 17 novembre et promet de profondes réformes, notamment de l'éducation.

Sa principale rivale, la candidate de droite Evelyn Matthei, totalement absente de cette commémoration, est pour le statu quo.

Plusieurs incidents se sont produits dès le début de la journée avec, selon les forces de l'ordre, au moins 68 personnes interpellées et cinq automobiles incendiées dans des quartiers périphériques de la capitale.

Dans la soirée, les incidents ont repris, et des manifestants ont mis le feu à trois autobus de transport public. Une dizaine d'entre eux ont été interpellés après de violents heurts avec la police.

Des incidents se sont également produits dans les villes de Valparaíso (120 km à l'ouest de Santiago) et Concepción (500 km au sud).

Afin de limiter les débordements, récurrents à cette date anniversaire, les autorités avaient mis en place un plan spécial comprenant le déploiement de 8000 policiers supplémentaires dans la capitale dont les rues se sont vidées dès le début de l'après-midi.

Sans être jour férié, le 11 septembre est quasiment considéré comme tel au Chili : les écoles, les commerces, les banques ferment tôt par précaution contre d'éventuels incidents.

À la tombée de la nuit, près d'un millier de personnes se sont rassemblées pour une veillée à la mémoire des disparus dans le stade de Santiago, où furent rassemblés et détenus plus de 40 000 prisonniers politiques après le putsch.

Les participants portant des photos, des oeillets rouges et des pancartes ont allumé des bougies en hommage aux disparus et aux personnes torturées dans le stade - quelques 12 000, selon Amnesty International - et se sont recueillis à l'extérieur, mais aussi sur la pelouse et les gradins.