Deux jours avant sa mort soudaine, le juge Jean Serge Joseph aurait subi des pressions des autorités haïtiennes lors d'une rencontre tenue secrète, selon ce qu'ont rapporté des proches du magistrat. Or, l'existence même de cette rencontre, et l'identité des participants, fait polémique.

L'avocat Samuel Madistin, proche de la famille du juge, relate l'avoir croisé avec un de ses collègues la veille de sa mort. Il aurait alors confié avoir été l'objet de menaces lors d'un rendez-vous tenu le jour précédent dans un bureau d'avocat de la capitale.

La rencontre aurait entre autres regroupé le premier ministre Laurent Lamothe, le président Michel Martelly et le ministre de la Justice, selon les propos du magistrat rapportés par M. Madistin.

«Pour éviter de possibles représailles, un collègue (qui m'accompagnait) lui a conseillé de quitter le pays, ce qu'il n'a pas voulu faire avant de parler à sa femme et à sa fille», se rappelle l'avocat en entrevue à La Presse.

Le premier ministre est catégorique. «Jamais de ma vie je n'ai eu le privilège de rencontrer le juge Jean Serge Joseph, jamais», a-t-il déclaré hier.

Me Madistin croit que le politicien ment. «Le premier ministre plaide contre l'évidence, dit-il. Tout le palais de justice sait que la rencontre a eu lieu.» Le président et le ministre de la Justice ont aussi démenti toute participation à une telle rencontre.

Une enquête pour déterminer s'il y a eu des pressions politiques à l'encontre du juge Joseph a été ouverte quelques jours après sa mort par la commission disciplinaire du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, l'équivalent du Conseil de la magistrature au Québec.

«Ce qui nous préoccupe, c'est de voir dans quelle mesure l'indépendance de la justice a été entachée», raconte Jacques Létang, bâtonnier du Barreau de la commune des Coteaux.

Il a reçu La Presse hier en compagnie des autres membres de la commission.

Une dizaine d'intervenants liés au dossier auraient déjà été entendus depuis dix jours dans le cadre de cette enquête.

«Il y a eu des déclarations dans les deux sens [confirmant ou infirmant la rencontre]», explique Dilia Lemaire, avocate qui représente la société civile auprès du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire.

«À chaque entretien, ajoute-t-elle, on découvre des éléments nouveaux qu'on doit vérifier.»

Il ne resterait que deux ou trois personnes à rencontrer pour terminer l'enquête.

Les membres de cette commission promettent de rendre publiques les conclusions de leur rapport final dans les prochaines semaines.