Après la Turquie, c'est au tour d'un autre pouvoir émergent, le Brésil, d'être secoué par des manifestations. Et pas n'importe lesquelles. Lundi, des centaines de milliers de personnes étaient dans les rues de São Paulo. Hier, quelque 50 000 manifestants s'y sont retrouvés. La mobilisation a dégénéré lorsqu'un petit groupe a voulu pénétrer dans la mairie. Repoussés par la police, des manifestants ont réagi en incendiant entre autres un camion de la chaîne TV Record.

Autobus

Au coeur du soulèvement populaire: le prix des transports en commun. Les premières manifestations ont été organisées pour combattre la hausse du prix du billet d'autobus à Porto Alegre par le Mouvement pour le transport gratuit (ou Tarifa Zero). Après une première victoire, le mouvement s'est étendu à Natal, puis, la semaine dernière à São Paulo, où le billet d'autobus doit être majoré de 0,10$. La question des transports en commun, jugés chers, inefficaces et dangereux, est sensible au Brésil, où les villes sont très étendues et où les populations pauvres doivent se déplacer sur de grandes distances pour avoir accès à un emploi, explique Julian Durazo-Herrmann, professeur de sciences politiques à l'Université du Québec à Montréal. Selon une étude brésilienne, 37 millions des 200 millions de Brésiliens ne peuvent se permettre d'utiliser le réseau d'autobus. La grogne n'est pas nouvelle. En 1879, à l'époque de la monarchie, les Brésiliens se sont soulevés une première fois contre le prix des billets de tramway.

Soccer

S'il y a une religion au Brésil, c'est bien le soccer (le football) et les autorités brésiliennes mettent la gomme ces jours-ci pour préparer le Mondial qui doit se tenir dans le pays d'Amérique du Sud l'an prochain. Et c'est justement ce que reprochent nombre de manifestants au gouvernement. D'avoir abandonné les services offerts à la population au profit des projets de grandeur entourant la grand-messe du ballon rond. «Plus d'éducation et de santé. Moins de stades», scandent certains protestataires qui invitent les amateurs de soccer à boycotter l'événement mondial. Plusieurs des manifestations des derniers jours - dont certaines qui ont versé dans la violence - ont d'ailleurs eu lieu près des stades qui hébergent la Coupe des Confédérations, un tournoi de réchauffement pour la Coupe du monde.

Inflation

Le prix des transports en commun n'est qu'un exemple de l'inflation galopante au Brésil, un pays qui ne cesse de célébrer ses réussites économiques et où des millions de personnes ont quitté la pauvreté pour rejoindre la classe moyenne au cours des 10 dernières années. Mais la croissance s'essouffle plus rapidement que la hausse des prix. Depuis 2011, l'inflation a atteint 15,5%, selon l'estimation du gouvernement. Les mouvements sociaux du pays font remarquer que les salaires n'ont pas suivi la hausse du coût de la vie. Les plus pauvres s'appauvrissent alors que la classe moyenne, elle, a la nette impression de payer trop de taxes pour ce qu'elle reçoit en services, notent les analystes brésiliens.

Caoutchouc

Comme en Turquie, c'est l'utilisation de la force par la police qui a transformé de modestes manifestations en vague nationale de protestation. Des photos de femmes ou de couples non armés se faisant battre ou asperger de gaz par la police ont vite fait le tour des médias sociaux. Lors de plusieurs manifestations, les policiers ont aussi eu recours aux balles de caoutchouc controversées. À ce jour, une centaine de personnes auraient été blessées. Hier, la présidente du pays, Dilma Rousseff, s'est faite rassurante et a reconnu la «légitimité des manifestations» au coeur de la démocratie brésilienne. Le ministre du Sport, Aldo Rebelo, a pour se part annoncé qu'il ne reculerait devant rien pour mener à bon port la Coupe des Confédérations.

Photo Ricardo Moraes, Reuters