Les victimes d'atrocités survenues durant la guerre civile qui a frappé le Guatemala croyaient enfin obtenir justice avec le dénouement annoncé du procès de l'ex-dictateur Efrain Rios Montt pour génocide. Mais le sort en a décidé autrement.

Les procédures touchaient à leur fin après le témoignage marquant de dizaines de témoins lorsqu'un magistrat a ordonné la semaine dernière leur suspension, suscitant une levée de boucliers dans le pays.

La juge Carol Patricia Flores, qui s'était retirée du dossier en 2011 sur fond d'accusations de partialité avant de se voir remise en selle, a indiqué que toutes les démarches réalisées depuis son départ devaient être considérées comme «nulles et non avenues».

Son intervention a été jugée «illégale» par la procureure générale du pays, Claudia Paz y Paz. Et un recours a été déposé devant la Cour constitutionnelle, qui a confirmé mardi sa reprise en main du processus.

Si sa décision d'annuler les procédures des derniers mois se confirme, elle forcera la reprise du procès pratiquement «à zéro», déplore Marie-Dominik Langlois, qui coordonne le Projet Accompagnement Québec-Guatemala, une organisation soutenant les victimes du conflit armé dans leur bataille pour obtenir «justice et réparation».

Mme Langlois note que ce retour en arrière contraindrait les témoins à revenir à la barre, ravivant une fois de plus «le traumatisme subi» pendant la guerre civile.

Ce serait le cas notamment pour les victimes de viol. Plusieurs femmes ont déclaré qu'elles avaient été agressées à plusieurs reprises par des soldats. L'une d'elles a affirmé qu'elle avait été agressée par trente hommes en même temps que sa fille de 12 ans.

Un autre témoin a relaté qu'il avait vu des soldats du régime utiliser la tête d'une personne tuée comme ballon de soccer. Les Nations unies estiment que la guerre civile a fait plus de 200 000 morts et disparus de 1960 à 1996.

Massacre de populations indigènes

Rios Montt, qui a dirigé le pays de 1982 à 1983 alors que les exactions les plus sévères étaient perpétrées, est accusé d'avoir orchestré le massacre de populations indigènes.

L'homme de 87 ans se voit reprocher plus précisément, à l'instar de l'ex-chef du renseignement militaire, Jose Rodriguez Sanchez, d'avoir joué un rôle de premier plan dans le massacre de près de 1771 indigènes mayas Ixelles par des militaires. Les accusés nient qu'il y ait eu génocide.

Selon Mme Langlois, les procédures se déroulent dans une ambiance plutôt lourde puisque des associations d'anciens militaires ont acheté de pleines pages dans les journaux pour défendre les accusés. «Ils affirment que le fait de porter des accusations menace la paix sociale et divise le pays», souligne-t-elle.

Un «autre revers»

Human Rights Watch a déclaré que l'intervention de la juge Flores constituait un «autre revers pour les victimes, qui cherchent à obtenir justice depuis trois décennies».

L'organisation, rappelant les conclusions d'une commission historique, souligne que plus de 90% des violations des droits de la personne survenues dans le pays étaient imputables aux forces de sécurité étatiques.

Le conseiller spécial des Nations unies pour la prévention du génocide, Adama Dieng, a aussi pressé les autorités de mener le procès à terme. Il s'agit, dit-il, de la première fois qu'un ancien chef d'État est inculpé pour génocide par une juridiction nationale.

«Avec ce procès, le Guatemala a établi un précédent historique qui devrait servir d'exemple pour tous les États ayant manqué à leur responsabilité de poursuivre les individus coupables de violations graves et massives des droits de l'Homme», a-t-il déclaré.

TROIS DICTATEURS DEVANT LA JUSTICE

Charles Taylor

L'ex-président du Liberia a été condamné en première instance à 50 ans de prison pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone. Il a été reconnu coupable d'avoir soutenu une campagne de terreur visant à obtenir le contrôle du pays et l'accès à ses richesses naturelles. Plus de 100 000 personnes sont mortes lors de ce conflit sanglant. Le condamné tente de faire infirmer la décision en appel.

Hissène Habré

L'ancien président tchadien, qui a dirigé le pays d'une main de fer de 1982 à 1990, fait face à des accusations de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Des organisations de défense des droits de l'Homme affirment que son régime aurait éliminé plus de 40 000 personnes. Après sa chute, l'ex-homme fort du Tchad s'est réfugié, au Sénégal, où il a longtemps bénéficié de la protection de l'ex-président Abdoulaye Wade. Un tribunal pour juger Hissène Habré a finalement été mis en place dans le pays au début du mois de février.

Khieu Samphan

L'ancien chef d'État est jugé pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité en lien avec les exactions perpétrées au Cambodge par le régime des Khmers rouges. Il est jugé de concert avec l'ancien idéologue du régime par un tribunal spécial, soutenu par les Nations unies, qui a été critiqué à plusieurs reprises pour sa lenteur. On estime que deux millions de personnes ont été tuées par les Khmers rouges à la fin des années 70.