Le premier procès consacré au Plan Condor, réseau de répression des opposants créé par les dictatures militaires d'Amérique du sud dans les années 1970 et 1980, débute mardi à Buenos Aires, avec l'ex-président argentin Jorge Videla parmis les accusés.

Au total, une vingtaine de hauts fonctionnaires argentins seront jugés pour crimes contre l'humanité par trois juges du Tribunal fédéral N.1 de Buenos Aires.

Entre 1975 et le début des années 1980, le Plan Condor (ou Opération Condor) a permis aux gouvernements d'Argentine, du Chili, du Paraguay, d'Uruguay, de Bolivie et du Brésil d'échanger des informations afin de faire enlever ou supprimer des opposants réfugiés dans un de ces pays.

C'est le premier procès focalisé sur le Plan Condor, souligne Carolina Varsky, avocate de victimes argentines et uruguayennes, qui espère que le tribunal pourra mettre en évidence «le soutien des Etats-Unis» au Plan Condor.

«Pour le prouver, nous avons des témoignages de survivants et des documents déclassifiés qui compromettent Washington», affirme Carolina Varsky, du Centre d'études légales et sociales (CELS).

Les hauts responsables des régimes militaires qui se sont succédés en Argentine ont longtemps bénéficié d'une loi d'amnistie, avant que le président Nestor Kirchner (2003-2007) ne l'abroge et permette à la justice d'inculper plus d'un millier de militaires ou policiers.

Depuis, les procès se multiplient.

Jorge Videla, au pouvoir à Buenos Aires de 1976 à 1981 quand la répression était à son paroxysme, a désormais 87 ans. Il est détenu dans une prison de Marcus Paz, près de Buenos Aires, où il purge une peine de prison à vie pour crime contre l'humanité et une peine de 50 ans de prison pour le vol de bébés d'opposants.

Sur le banc des accusés, il aura à ses côtés l'ex-général Luciano Benjamin Menendez, surnommé «La Hyène» car il avait la réputation de rire en voyant les prisonniers torturés et condamné à sept reprises à la prison à perpétuité pour tortures, homicides et disparitions.

La dictature argentine (1976-1983) a fait 30.000 morts et disparus et des centaines de milliers de personnes ont été emprisonnées, selon des organisations de défense des droits de l'Homme.

Dans le cadre du Plan Condor, l'ex-général Eduardo Cabanillas a écopé en 2011 d'une peine de prison à perpétuité pour avoir dirigé Automotores Orletti, un centre clandestin de détention et de tortures.

Le moment-clé dans l'enquête sur le Plan Condor fut la découverte en 1992 au Paraguay d'archives établissant l'existence d'un plan concerté entre les six pays.

Pendant l'instruction, qui a duré 14 ans, la justice avait demandé en vain l'extradition des anciens présidents paraguayen Alfredo Stroessner et chilien Augusto Pinochet, aujourd'hui décédés.

Parmi les personnalités victimes du Plan Condor figurent deux anciens ministres de Salvador Allende, Orlando Letelier (assassiné en 1976 à Washington) et le général Carlos Prats (en 1974 à Buenos Aires) ou l'ex-président bolivien Juan José Torres (Buenos Aires, 1976).

A cette époque, sur fond de guerre froide, une opposition de gauche souvent organisée en groupes armés défiait les régimes militaires dans les six pays concernés par le Plan Condor.

Les militaires argentins entendus dans d'autres procès ont généralement admis les faits qui leur étaient reprochés tout en argumentant avoir agi au nom de la défense de la démocratie face à des organisations «terroristes» voulant imposer selon eux des régimes totalitaires.

Pour Ema Cibotti, historienne de l'Université de Buenos Aires (UBA), le Plan Condor, c'est «l'Internationale du terrorisme d'Etat dans le Cône sud».

«Ils pouvaient assassiner un ex-ministre de Salvador Allende en compagnie de sa femme à Buenos Aires, enlever un couple argentin au Brésil et le ramener en Argentine pour torture. C'était un terrorisme d'Etat sans frontières», s'indigne l'universitaire.

Le procès du Plan Condor doit durer plusieurs mois.