La justice haïtienne a ordonné pour la première fois jeudi à «Baby Doc», visé par plusieurs plaintes d'ex-opposants, de comparaître pour être entendu, une décision saluée comme une victoire par les victimes de la dictature et les ONG qui les soutiennent.

«Il y a lieu pour la cour de déclarer que la comparution de Jean-Claude Duvalier s'avère impérative», a déclaré le juge Jean-Joseph Lebrun en présence des avocats des parties, de victimes de l'ex-dictateur et d'observateurs de la communauté internationale.

«Il convient donc d'ordonner qu'il soit amené pour être entendu par la cour», a-t-il ajouté, avant de fixer une nouvelle audience à jeudi prochain.

Me Frizto Canton, un des avocats de «Baby Doc» Duvalier, a assuré à l'AFP que l'ex-dictateur serait alors présent: «Oui, nous allons l'amener, nous respectons la décision du tribunal».

«C'est une victoire pour les groupes de victimes», a immédiatement réagi sur Twitter Béatrice Vaugrante, représentante d'Amnesty International, présente à l'audience.

«Baby Doc», fils de l'ancien dictateur François «Papa Doc» Duvalier, avait pris le pouvoir en 1971 à 19 ans, perpétuant une longue dictature dans ce pays qui est l'un des plus pauvres du continent américain.

Chassé du pouvoir en 1986 par une révolte populaire, Jean-Claude Duvalier  avait effectué un retour spectaculaire en Haïti en janvier 2011 après 25 ans d'exil en France.

«Une brèche dans le mur d'impunité»

En janvier 2012, un juge d'instruction avait ordonné son renvoi devant un tribunal correctionnel pour détournements de fonds. Mais il n'avait en revanche pas retenu des poursuites pour crimes contre l'humanité, estimant que les faits étaient prescrits.

Cette décision avait provoqué l'indignation des organisations de défense des droits de l'homme et des victimes qui avaient fait appel. Mais les défenseurs de «Baby Doc», âgé de 61 ans, ont formé un pourvoi en cassation et estiment que la cour d'appel est par conséquent «dessaisie» du dossier.

Devant sa nouvelle absence jeudi - «Baby Doc» ne s'était déjà pas présenté lors de deux précédentes convocations devant la justice -, l'avocat des victimes Me Jean-Joseph Exumé avait demandé au juge qu'il délivre un mandat d'arrêt contre Jean-Claude Duvalier.

Avant le début de l'audience, Me Exumé avait évoqué «une occasion en or de faire un procès historique».

La décision du juge d'obbliger Jean-Claude Duvalier a comparaître a été saluée par Robert «Bobby» Duval, ancienne gloire du football haïtien emprisonnée sous la dictature comme une «avancée». «On a encore beaucoup de luttes mais c'est une grande satisfaction qu'il soit contraint de se présenter au tribunal», a-t-il déclaré auprès de l'AFP.

Nicole Magloire, 74 ans, une des plaignantes qui doit témoigner devant le tribunal, a quant à elle évoqué «un petit pas»: «On se rend compte que c'est un processus plein d'embûches et de pièges (...), on sent qu'il y a des forces souterraines et des enjeux qui nous échappent».

«C'est une brèche dans le mur d'impunité et d'immunité qui l'entoure», s'est pour sa part félicité Reed Brody, un avocat de Human Rights Watch présent à l'audience: «C'est une importante victoire pour les victimes de Jean-Claude Duvalier qui n'avaient pas perdu espoir de le voir devant un tribunal».

La convocation de «Baby Doc» devant la justice de son pays avait entraîné la multiplication d'appels à juger les faits commis sous sa dictature, de l'ONU, de la Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH), ou d'ONG.