La Cour d'appel d'Haïti a ordonné la semaine dernière la présence de Jean-Claude Duvalier devant le tribunal ce matin. Le mois dernier, lors des deux premières audiences de cette célèbre cause contre l'ancien dictateur, seuls ses avocats étaient présents. Notre journaliste explore quatre enjeux de cette comparution.

Q Pourquoi la date de la comparution (7 février) est-elle jugée hautement symbolique par les Haïtiens?

R Le 7 février 1986, le départ forcé de Jean-Claude Duvalier, qui s'était autoproclamé président à vie d'Haïti, a été considéré par plusieurs comme la deuxième déclaration d'indépendance du pays, libéré de l'esclavage en 1804. La nouvelle Constitution haïtienne, adoptée par référendum démocratique en 1987, après 29 ans de dictature, y fait d'ailleurs référence à plusieurs reprises. Selon celle-ci, chaque nouveau président élu doit prêter serment le 7 février qui suit son élection.

Q Où en sont les procédures à l'égard de Duvalier?

R Deux procédures distinctes sont en cours devant la justice haïtienne. L'État haïtien poursuit d'abord Jean-Claude Duvalier pour crimes économiques et association de malfaiteurs. Des comptes en banque en Suisse contiendraient, selon l'accusation, des dizaines de millions de dollars détournés. Les représentants de Duvalier affirment que ces fonds appartiennent plutôt à une fondation de sa mère. Les accusations de crimes économiques contre Jean-Claude Duvalier ont été jugées recevables par la justice haïtienne, ce que contestent en Cour d'appel les avocats de l'ex-dictateur. Par ailleurs, des citoyens haïtiens ont aussi porté plainte contre Duvalier pour crimes contre l'humanité. Ces accusations ont cependant été rejetées par la justice haïtienne, ce qui est contesté en appel par les plaignants. Les deux causes devraient être entendues aujourd'hui, devant la Cour d'appel.

Q Les victimes peuvent-elles espérer un procès juste et équitable dans la situation actuelle?

R «Pas du tout», affirme Danièle Magloire, porte-parole du Collectif contre l'impunité, qui regroupe les Haïtiens qui ont porté plainte et des organismes de droits de la personne. «On voit très bien les magouilles et le poids de la politique», a-t-elle dit en entrevue à La Presse. Elle souligne que le président actuel, Michel Martelly, a déjà mentionné son intention d'amnistier l'ex-dictateur, avant de devoir se rétracter. De plus, des membres importants du régime Duvalier sont encore dans les sphères du pouvoir. «Mais ce n'est pas parce que les défis sont grands qu'on ne se battra pas. Personne ne pensait que les esclaves pouvaient gagner contre l'armée française lors de la révolution haïtienne, mais ils ont quand même réussi.»

Q Quelles sont les autres options si la justice haïtienne ne fonctionne pas?

R Dans cette cause hors de l'ordinaire, l'objectif des plaignants est de participer à l'élaboration d'une justice équitable en Haïti. Si les accusations de crime contre l'humanité n'aboutissent pas à un procès, plusieurs options sont tout de même sur la table. «À défaut, pour les tribunaux haïtiens, de rendre justice dans cette affaire, la Cour interaméricaine des droits de l'homme pourrait intervenir», a expliqué à La Presse Pascal Paradis, président général d'Avocats sans frontières Canada (ASFC), qui revient d'un séjour en Haïti la semaine dernière. L'organisme de Québec offre un soutien technique au Collectif contre l'impunité depuis le début de leurs démarches devant la justice haïtienne. «C'est une stratégie qu'ASFC a vu fonctionner dans d'autres pays, dont le Guatemala.»