Trois ans ont passé depuis le séisme qui a secoué Haïti le 12 janvier 2010. Pourtant, les traces de la catastrophe sont encore visibles partout dans Port-au-Prince. Dans les rues et dans les camps de réfugiés, la population s'impatiente. La Presse a demandé à un citoyen de la capitale, Frédérique Pierre, 38 ans, chauffeur de taxi et père de deux enfants, de lui faire voir le Port-au-Prince dont il a honte. La visite a été longue. Dans le chaos de la métropole dévastée, il nous a montré l'hôpital, le centre-ville, les camps, la cathédrale: tous presque aussi ravagés qu'au lendemain du tremblement de terre.

>> Voyez notre galerie photo: Port-au-prince: trois ans plus tard

L'hôpital universitaire

Dans un couloir condamné du service de radiologie du plus grand hôpital du pays, un vieil homme au crâne déformé par une énorme tumeur est étendu à même le sol. Le plafond fissuré semble sur le point de lui tomber dessus. Pourtant, rien ne restreint l'accès à ce couloir. L'édifice, long d'une centaine de mètres, n'est plus que ruine. Il a perdu plusieurs étages dans le séisme. La façade s'est complètement effondrée. De l'extérieur, on distingue parfaitement le squelette des salles de consultation et d'opération, aujourd'hui entièrement vides. «C'est dangereux, prévient Frédérique Pierre. Ne restons pas là.»

Dehors, dans la cour intérieure jadis composée d'une demi-douzaine de pavillons, le sol est couvert de poussière de béton. Des services entiers, dont les laboratoires et l'infectiologie, sont toujours installés dans des tentes de fortune. Des médecins en survêtement bleu vont et viennent, le visage couvert d'un masque. Plus loin, devant la porte des urgences, l'une des rares unités qui tiennent encore debout, une femme accroupie urine. Le mur de l'édifice qui lui fait de l'ombre est veiné de profondes fissures. «L'hôpital est un endroit essentiel, rage notre guide. Ça aurait dû être rénové en premier. Pourtant, rien n'a changé ici en trois ans.»

Le centre-ville

Le 4x4 roule dans les rues cahoteuses. Sur des portions entières, l'asphalte est couvert de terre et de pierres. De profonds nids-de-poule sont remplis d'une eau stagnante et malodorante dans laquelle marchent sans broncher des centaines de passants.

Le centre-ville de Port-au-Prince a non seulement mauvaise mine depuis le séisme, mais aussi mauvaise réputation. «C'est devenu très dangereux, dit Frédérique Pierre. Les commerces ont déménagé dans d'autres quartiers, alors ça se bidonvillise.» Le gouvernement du Canada met d'ailleurs les voyageurs en garde contre la criminalité et les gangs armés qui y sévissent.

Devant nous se dressent des pâtés entiers d'édifices vides. Certains sont à moitié effondrés, les murs de ceux qui tiennent encore debout sont profondément fissurés. «Les gens ont peur que ça tombe, alors c'est abandonné.» Des marchands ambulants se sont approprié les devantures des anciens commerces et édifices gouvernementaux. Installés sous des ombrelles en bois, ils vendent de tout: fruits et légumes, produits sanitaires, riz, farine, essence. Des trous creusés directement sur les trottoirs servent de toilettes.

Jusqu'à récemment, le secteur était décrété «zone d'utilité publique». Toutes les propriétés pouvaient être utilisées par l'État pour édifier le nouveau centre-ville, ce qui empêchait leurs propriétaires d'entreprendre des rénovations. Récemment, le président Michel Martelly a annulé le décret, affirmant que son gouvernement se contenterait d'établir des règles de zonage pour la reconstruction.

Le camp Kid

Trois ans après avoir perdu leurs maisons, plus de 500 familles vivent toujours dans des conditions inhumaines dans ce minuscule camp de réfugiés, érigé en pleine ville. Les déplacés, anciens citoyens du quartier Christ-Roi, sont entassés dans des abris de tôle rouillée et de toile sans portes ni fenêtres. Des familles entières se partagent des cabanes à peine plus grandes qu'un lit à une place, séparées les unes des autres par un labyrinthe d'étroits passages au milieu desquels coulent des égouts à ciel ouvert.

De moins en moins patients, ils attendent que le gouvernement les reloge. «Ces gens n'ont pas les moyens de reconstruire leur maison, explique Frédérique Pierre, ou bien ils étaient simplement locataires.» C'est le cas d'Odile, 34 ans, qui habite là avec des trois enfants. «On n'en peut plus de vivre ici. C'est indécent», soupire la femme.

Depuis le séisme, ils ont fait des sit-in et des journées de réflexion, mais ils n'ont toujours pas déménagé. Entre-temps, la vie a pris le dessus. Ici, des hommes jouent au basket-ball en suant à grosses gouttes sur un terrain vague. Là, deux vieillards s'affrontent aux dames. Tout près, des femmes assises à même le sol boueux vendent des bonbons. Quelque 400 000 familles vivent dans des camps, selon des données officielles. Au lendemain du séisme, c'était le cas de 1,5 million de personnes.

La cathédrale

Des enfants en bas âge, pieds nus, fouillent dans une pile de déchets à l'ombre du squelette de la cathédrale Notre-Dame-de-L'Assomption, véritable symbole du séisme dans la capitale. Autrefois lieu de culte ou de rassemblement et objet de fierté, l'édifice construit à la fin du XIXe siècle n'a plus de toit, plus de vitraux, plus de fenêtres. La plupart de ses murs sont effondrés. Depuis, la carcasse de près de 100 m sur 50 domine un centre-ville tout aussi abîmé. Elle est devenue un refuge pour les plus démunis, qui ont utilisé chaque pan de mur extérieur pour y accrocher les toiles effilochées qui composent leurs abris. «Les gens n'ont pas les moyens d'avoir une maison, alors ils se sont installés ici. C'est tout ce qu'ils ont pu trouver», dit Frédérique Pierre. Notre voiture est à peine garée qu'ils sont des dizaines à nous encercler. De jeunes mères, bébé sur la hanche, frappent contre les vitres en se frottant le ventre pour montrer qu'elles ont faim. Elles devront bientôt trouver un autre endroit pour s'abriter. La construction d'une nouvelle église pouvant accueillir 1200 personnes doit bientôt commencer. L'architecte portoricain Segundo Cordona a remporté en décembre un concours international lancé par le diocèse de Port-au-Prince pour la reconstruction.