«Les militaires m'ont arrêté et torturé. Ils voulaient m'obliger à confesser des liens avec le narcotrafic», raconte un policier de Tijuana, qui a vécu un calvaire avant d'être blanchi par la justice. L'organisation Amnistie internationale a présenté hier un rapport dénonçant la pratique «généralisée et systématique» de la torture dans la lutte contre le crime organisé au Mexique.

«L'augmentation de la torture au Mexique est spectaculaire et dramatique.» C'est le diagnostic posé par Amnistie internationale lors de la présentation du rapport Coupables connus, victimes innocentes.

Dans ce document, l'organisation de défense des droits de la personne répertorie des dizaines de cas de civils innocents et de présumés délinquants torturés par la police et par les militaires. Un petit échantillon d'une réalité impossible à quantifier, qui se traduit par peu de plaintes et presque aucune sanction.

Un des cas abordés est celui de 25 policiers de Tijuana, dans le nord du pays, torturés par des militaires en 2009.

Leur chef, Julián Leyzaola, réputé pour ses méthodes expéditives, avait fait arrêter ses agents, en les accusant de liens avec les cartels, et les avait livrés à l'armée.

Décharges électriques

«On m'a ligoté à une chaise puis des hommes se sont assis sur moi et m'ont asphyxié avec un sac. Ils voulaient que je leur donne des noms de trafiquants. Quand je m'évanouissais, ils me réanimaient à coups de gifles», raconte à La Presse un de ces policiers, José Sánchez Reyes.

Après plusieurs séances de décharges électriques, certains policiers ont signé des confessions les impliquant dans le narcotrafic. «La loi empêche les juges d'accepter des confessions obtenues sous la torture. Mais dans la pratique, il est fréquent qu'ils valident ces déclarations comme preuves», explique Ignacio Morales Lechuga, ex-procureur fédéral.

Aujourd'hui, les 25 policiers ont été blanchis de toute accusation et mis en liberté. Mais la Commission mexicaine de défense et de promotion des droits de l'homme, organisation qui assure leur défense, dénonce l'absence de réparation et la protection accordée aux bourreaux.

Au terme d'une enquête interne, l'armée a admis les faits, tout en rendant un verdict ténébreux: les militaires qui ont participé aux tortures ne peuvent être tenus pour responsables.

C'est l'histoire de la torture au Mexique: personne n'est responsable. «En garantissant l'impunité, l'État envoie un message clair à ceux qui font de la torture: il les encourage à continuer», s'indigne Alberto Herrera, directeur de la section mexicaine d'Amnistie.

Les policiers injustement incriminés pensent que Leyzaola voulait simuler une purge de la police pour satisfaire ses supérieurs. Fort de ces «résultats» et porté par sa réputation de pourfendeur du crime, Leyzaola a été nommé chef de la police de Ciudad Juárez, ville la plus dangereuse du Mexique, où il est accusé d'avoir fait disparaître plusieurs civils.

«Nous sommes là pour témoigner, mais il y a des citoyens qui ne pourront jamais raconter les tortures qu'ils ont subies», conclut José Sánchez.

4841

Plaintes pour torture déposées auprès de la Commission nationale des droits de l'homme (organe officiel) durant la guerre contre le cartel du président Felipe Calderón.

400%

Augmentation du nombre de plaintes pour torture entre 2007 (392 plaintes) et 2011 (1669 plaintes).

58

Seulement une cinquantaine d'enquêtes ont été lancées par le parquet fédéral sur des cas de torture, entre 2008 et 2011.