Des centaines de milliers de partisans d'Henrique Capriles ont envahi dimanche soir le centre de Caracas pour un rassemblement géant, à une semaine de l'élection qui l'opposera au président sortant Hugo Chavez.                

Sous les acclamations et les « Chavez, mon ami, il ne te reste plus qu'une semaine! » ou « On le voit, on le sent, Capriles président », le candidat de l'opposition a défilé le long de l'avenue Bolivar à bord d'une camionnette, envoyant baisers et sourires à ses partisans.

« Je crois que c'est sans aucun doute la plus grande concentration de personnes dans l'histoire que Caracas », a-t-il lancé, avant d'appeler « chaque Vénézuélien à faire le bilan des années Chavez » et à voter pour « le changement ».

Capriles, âgé de 40 ans, a multiplié les apparitions publiques au cours de la campagne, tandis que le président sortant, affaibli par un cancer dont il se dit guéri, était beaucoup moins visible.

« Regardez tous ces gens, on voit bien que c'est fini pour Chavez », déclarait à l'AFP Antonio Barrios, un ébéniste de 54 ans. « Ça fait déjà 14 ans, nous ne pouvons pas continuer avec le même président. Chavez ne peut pas être président toute sa vie, il ne faut pas qu'il soit égoïste ».

« Ça, ça donne des forces pour continuer à se battre pendant les jours qui restent » d'ici l'élection, disait de son côté, enthousiaste, Norma Sanchez, une universitaire.

Les derniers sondages pour le scrutin du 7 octobre plaçaient toujours le président sortant en tête, avec plus de 49 % des voix contre 39 % à Capriles, mais avec près de 12 % d'indécis.

Treize années de chavisme



Au pouvoir depuis 13 ans, le président du Venezuela Hugo Chavez brigue dimanche un nouveau mandat à la tête d'un pays moins inégalitaire grâce aux revenus du pétrole, mais qui doit encore affronter des défis majeurs, tels qu'une violence endémique ou le manque de logements.

Tout, au Venezuela, tient à son statut de puissance pétrolière, et M. Chavez ne fait pas exception : élu en décembre 1998 quand le pays subissait depuis 20 ans une grave crise due à la chute des prix du brut, il est parvenu à se maintenir au pouvoir notamment grâce à la remontée des cours et les milliards de pétrodollars investis dans ses « missions sociales » destinées aux classes populaires.

« Je fais en sorte que les revenus pétroliers aillent directement au peuple, au logement, à la santé, à l'éducation, à la vie », explique le président de ce pays disposant des plus importantes réserves de brut au monde et dont le pétrole représente 90 % des ressources en devises.

Depuis son entrée en fonction, en 1999, le PIB du Venezuela s'est envolé selon lui de 91 à 328 milliards de dollars, le baril passant de 17 dollars à son arrivée à 100 en 2011. Cinquième exportateur mondial, le Venezuela produit entre 2,3 et 3 millions de barils/jour, selon l'OPEP ou le gouvernement.

Dans le même temps, les taux de pauvreté, de chômage, d'analphabétisme ou la mortalité infantile ont sensiblement diminué.

D'après la Commission économique pour l'Amérique latine de l'ONU (CEPAL), le taux de pauvreté a par exemple chuté de 49,4 % en 1999 à 27,8 % en 2010, alors que l'analphabétisme est passé de 9,1 % en 1999 à 4,9 % en 2011.

La répartition des richesses n'a en revanche pas subi de modification profonde, et toujours selon la Cepal, en 2010, 45,2 % des ressources revenaient encore aux 20 % des Vénézuéliens les plus aisés, quand les 20 % les plus humbles s'en partageaient 5,4 %.

Les exclus au centre de la société

« Chavez a donné au Venezuela une chose inestimable : il a contraint la société à se focaliser sur ce qui était, est et sera le grand thème de l'Amérique latine : les inégalités », analyse pour l'AFP Alberto Barrera Tyska, co-auteur d'une biographie de référence sur le « Comandante » (Hugo Chavez sin uniforme).

« Il a procédé à une répartition plus équitable et démocratique de la rente pétrolière et il a donné aux exclus la conscience de leur place dans la société », poursuit-il.

Pour autant, cela ne signifie pas que le pouvoir chaviste ait mis à profit, comme il aurait pu, ses milliards de dollars : « Les mesures sociales, qui ont eu un impact politique, ne sont pas venues à bout des problèmes structurels (car) elles sont pensées comme des politiques d'urgence », estime l'historienne Margarita Lopez Maya.

Elle cite par exemple les cas du Mercal, un programme de distribution d'aliments dans un pays qui n'a quasiment plus d'activité agricole alors que l'État a exproprié près de trois millions d'hectares.

Mme Lopez Maya évoque aussi la Mission Logement, un plan de création de trois millions d'habitations lancé en 2010 et qui a conduit notamment à la construction de logements dans des zones privées de tous services, au mépris de toutes règles d'urbanisme, selon elle.

« C'est une mission spécialement créée pour gagner les élections », affirme Mme Lopez Maya, soulignant également qu'aucun de ces programmes « ne peut être audité », car ils sont financés par un fonds présidentiel, dont M. Chavez assure qu'il ne lui survivra pas en cas de non-réélection.

L'expropriation par l'État de centaines d'entreprises dans tous les secteurs économiques, le contrôle drastique des changes ou la fixation des prix de certains aliments de base n'ont pas non plus empêché une inflation galopante (27,6 % en 2011 selon la Banque centrale) et des périodes de pénurie alimentaires.

« Propriété sociale » des moyens de production

Selon le président de l'organisation patronale Fedecamaras, Jorge Botti, 1600 compagnies sont passées sous contrôle d'un État qui représentait en 2009 30 % du PIB du pays.

Le secteur privé est « de moins en moins vigoureux », regrette M. Botti, pour qui « derrière l'euphémisme de +propriété sociale+ » utilisé par le pouvoir « les moyens de production sont graduellement en train de passer sous la propriété de l'État », illustration du « socialisme du 21e siècle » cher au président Chavez, qui estime que le capitalisme « condamne l'espèce humaine ».

Parallèlement à une situation économique contrastée - le taux de chômage officiel s'établit à 6,5 %, mais 41,6 % de la population active était employée dans le secteur informel en 2011, d'après la Banque centrale -, les Vénézuéliens subissent aussi le fléau d'une violence en augmentation constante, particulièrement à Caracas.

D'après le gouvernement lui-même, le pays a enregistré en 2011 un taux d'homicides de 50 pour 100 000 habitants (la population se chiffre à 28,9 millions de personnes), le plus élevé d'Amérique du Sud.

Pour Mme Lopez Maya, cette situation s'explique par une « décomposition sociale exacerbée » par les invectives permanentes entre pro et anti-Chavez, l'impunité (90 % des meurtres ne sont pas résolus), la drogue, ainsi que par le manque de perspectives d'une jeunesse découragée par une économie rentière qui produit peu.