Un chef qui est devenu une vedette internationale, des milliers de restaurants qui ouvrent leurs portes en quelques années... La cuisine péruvienne explose et joue un rôle de plus en plus important dans l'économie nationale, rapporte notre collaborateur.

Juan Pedro vit à Pachacutec, une zone de dunes pelées au nord de Lima, capitale du Pérou, où des migrants se sont installés il y a une vingtaine d'années. Venir au centre-ville de sa maison de planches est un voyage de deux heures.

Les jeunes, ici, se forgent généralement un destin de chauffeur de bus ou de vendeur ambulant. Juan Pedro, lui, sera bientôt diplômé de l'école de cuisine fondée par Gaston Acurio, le chef-vedette péruvien qui emploie 3000 personnes dans le monde.

Vêtu de son impeccable tenue blanche, il officie aussi derrière les fourneaux de la Mistura, la plus grande fête gastronomique d'Amérique latine. «La cuisine a changé ma vie», constate le jeune apprenti en trempant des brochettes de coeur de boeuf - les anticuchos - dans une marinade parfumée.

À l'instar de Juan Pedro, la gastronomie péruvienne est en passe de jouer dans la cour des grands. «Sa réputation de meilleure cuisine latino-américaine n'est pas usurpée, explique le restaurateur Juan Manuel Roccarey. Lima était la capitale la plus riche de l'empire colonial et on a toujours mangé ici plus raffiné qu'ailleurs.»

Un destin aidé par une biodiversité qui donne le vertige: 3000 variétés de quinoa, 1500 de pommes de terre, et des centaines de fruits méconnus qui poussent en Amazonie. «Les Péruviens ont toujours célébré leur cuisine, commente Ricardo Villanueva, critique gastronomique, mais c'est vraiment avec Gaston qu'ils ont réalisé tout son potentiel.»

Gaston, alias Gaston Acurio. Dix-huit ans après l'ouverture de son premier restaurant à Lima, ce quadragénaire à l'air rêveur règne sur un véritable empire de 40 établissements répartis dans 13 pays.

Mais quand il évoque son parcours pour La Presse, c'est le parcours de son école de Pachacutec, où les élèves sont boursiers, qu'il choisit de raconter: «Le Pérou est un pays riche qui marginalise toute une partie de sa population. Les cuisiniers peuvent agir, car leur métier concerne l'agriculture, la pêche, l'industrie, l'innovation, et bien sûr l'éducation. Nous formons des chefs, mais aussi des citoyens qui ne vont pas oublier d'où ils viennent.»

Un message diffusé chaque année par la Mistura, un festival gastronomique de 10 jours devenu, selon la presse locale «l'événement socioculturel le plus important du pays». Pour l'événement 2012, qui finit dimanche, plus de 500 000 Péruviens s'y sont pressés pour déguster les meilleurs plats du pays ou assister à des concours de cuisine. «Ici les riches et les pauvres mangent côte à côte, assure Jose del Castillo, l'un des organisateurs. La gastronomie réussit ce que la politique n'a pas pu faire.»

Selon la chambre de commerce de Lima, elle représente en tout cas 5 % du secteur touristique et emploie cinq millions de personnes. La capitale, qui abritait 18 000 restaurants en 2001, en recense aujourd'hui plus de 30 000, dirigés par des jeunes sortis des centaines d'écoles qui ont poussé dans tout le pays. Les plus doués, notamment ceux de Pachacutec, peaufinent leur art aux côtés des meilleurs chefs européens.

«Il y a 30 ans, il n'y avait que quelques restaurants japonais à l'étranger, aujourd'hui ils sont partout. Ce que les Japonais ont réussi avec les sushis, les Péruviens peuvent bien le faire avec le ceviche», conclut Gaston Acurio.