Le milliardaire Joaquín El Chapo Guzmán, chef du cartel de Sinaloa, au Mexique, est l'homme le plus recherché du monde. Washington estime que le narcotrafiquant est désormais plus riche et plus puissant que ne l'a été Pablo Escobar. Huit millions sont offerts pour sa capture ou son assassinat, ce que le gouvernement mexicain rêve de pouvoir accomplir avant l'élection présidentielle de juillet, rapporte notre correspondant.

Les 14 cadavres ont été découverts la semaine dernière dans une fourgonnette Plymouth Grand Voyager 1996 verte sans plaque d'immatriculation.

La fourgonnette avait été abandonnée devant le bureau des douanes de Nuevo Laredo, ville frontalière du nord du Mexique. Une photo prise ce matin-là, et diffusée sur l'internet, montre des corps nus, mutilés et décapités, placés côte à côte comme des pièces de viande dans le présentoir d'une boucherie. Même selon les critères de la ville hyperviolente, la scène était d'une brutalité inouïe.

«Tu veux des preuves que je suis présent à Nuevo Laredo? disait une note adressée au maire, Benjamin Galvan. Qu'est-ce que ça va prendre? La tête des chefs des Zetas? La tienne?»

Trois heures plus tard, trois glacières bleu et blanc contenant 14 têtes humaines sont apparues devant l'hôtel de ville.

Le message était signé El Chapo, surnom de Joaquín Guzmán, chef du cartel de Sinaloa. Il est le criminel le plus puissant du Mexique et l'homme le plus recherché du monde.

Mexico offre 3 millions de dollars pour sa capture. Washington en offre 5. Guzmán est à la tête d'un empire de trafic de cocaïne, de marijuana, d'héroïne et de méthamphétamine vers les États-Unis, l'Europe et l'Asie: en 2012, sa fortune est évaluée à 1 milliard de dollars. Le magazine Forbes place Guzmán en 55e position de sa liste des personnes les plus influentes du globe, entre Tim Cook et le dalaï-lama.

Les experts estiment que Guzmán est désormais plus puissant que ne l'a été Pablo Escobar, qui contrôlait le cartel de Medellín, en Colombie.

«Le cartel de Sinaloa est formé d'une multitude de réseaux qui sont spécialisés dans l'une ou l'autre des étapes du trafic de drogue, explique Eric Olson, associé principal à l'Institut du Mexique au Woodrow Wilson International Center for Scholars, à Washington. Guzman est à la tête de cet ensemble de réseaux en constante mutation.»

Meurtres, enlèvements, torture

Chef du cartel de Sinaloa, Joaquín Guzmán, 55 ans, est surnommé El Chapo (le petit) en raison de sa petite taille (1,68 m). Guzmán est père de neuf enfants issus de trois mariages. Il a épousé sa plus récente femme, Emma Coronel, en 2007, le jour où elle a eu 18 ans.

En 1993, Guzmán a été condamné à 20 ans d'emprisonnement, mais il s'est échappé de sa prison à sécurité maximale en 2001 en se cachant dans un charriot à lessive. Selon la police fédérale, l'ensemble des gardiens de la prison de même que le directeur et la police locale étaient payés par le cartel de Sinaloa.

Dans The Last Narco, le journaliste Malcolm Beith explique que Guzmán est le dernier caïd de la dynastie créée par le parrain mexicain Miguel Ángel Félix Gallardo, aujourd'hui emprisonné. «Leur mot d'ordre est: les affaires passent en premier. Ce ne sont pas des gens qui cherchent à contrôler l'État, ou à devenir populaires.»

À la fin du mois d'avril, les autorités américaines ont déposé plusieurs chefs d'accusation contre Guzmán et 23 de ses associés. Guzmán est accusé d'avoir ordonné des meurtres, des enlèvements et des actes de torture. Il risque la peine de mort s'il est jugé en sol américain.

Les autorités américaines ont plusieurs fois fourni des renseignements à leurs homologues mexicains sur l'endroit précis où se trouvait Guzmán. Or, chaque fois, le caïd est parvenu à s'échapper avant l'arrivée des policiers fédéraux.

Le plus récent raid a eu lieu à la fin du mois de février, dans une somptueuse villa de la station balnéaire de Los Cabos, qui domine l'océan Pacifique. L'opération a eu lieu deux jours après le passage de la secrétaire d'État Hillary Clinton, en ville pour une rencontre internationale. Plusieurs des associés de Guzmán ont été arrêtés, mais le chef a réussi à fuir.

Les agents américains font désormais des blagues sur le sixième sens que semble posséder Guzmán. «Chaque fois, les Mexicains nous disent: Il s'est enfui par la porte d'en arrière, a confié un officiel américain à ABC News, en mars. On commence à penser qu'il n'y a pas de mot pour dire encercler en espagnol.»

Trop puissant?

Guzmán n'est pas populaire au Mexique: sa capture ou son assassinat avant l'élection présidentielle du 1er juillet seraient perçus comme un coup de filet pour le président Felipe Calderón, dont le parti tire de l'arrière dans les sondages.

Plus de 85 000 meurtres ont été commis dans le nord du Mexique depuis que le président Calderón a lancé sa guerre contre les cartels, en 2006, une vague de violence qui ne semble pas être sur le point de se résorber.

Certains analystes ont suggéré que Guzmán était trop puissant pour être arrêté ou tué, en raison de ses contacts en haut lieu au gouvernement et dans l'armée.

Selon Eric Olson, toutefois, le gouvernement mexicain tente sérieusement d'avoir la peau du caïd, un événement qui pourrait entraîner une hausse de la violence, du moins à court terme, estime-t-il.

«Le gouvernement mexicain a mis sur pied trois unités spéciales dont la seule tâche est de traquer Guzmán. Dans mon esprit, il ne fait aucun doute que Joaquín Guzmán sera un jour arrêté ou tué.»