L'ex-dictateur panaméen Manuel Noriega (1983-1989), extradé de France, est arrivé dimanche à Panama et a été immédiatement conduit en prison au milieu d'impressionnantes mesures de sécurité et avec le recours à plusieurs stratagèmes, destinés officiellement à éviter tout attentat.

Condamné au Panama à 60 ans de prison pour des assassinats d'opposants, après avoir passé plus de 20 dans des prisons américaine et française pour trafic de drogue et blanchiment d'argent, l'ancien général est arrivé dans la soirée à Panama à bord d'un appareil de la compagnie Iberia qui a été dirigé vers le terminal de fret, selon des images des télévisions locales.

L'ex-dictateur, âgé de 77 ans, a été conduit par la route jusqu'à la prison d'El Renacer - sur les berges du canal et proche d'une zone de forêt tropicale - et non dans un hélicoptère comme il avait été annoncé officiellement auparavant. Un hélicoptère a bien été utilisé mais il n'a servi que de leurre.

Le gouvernement a monté une opération de diversion en utilisant deux véhicules qui sont arrivés à la prison à quelques minutes d'intervalles escortés par des dizaines de policiers armés de fusils d'assaut et encagoulés.

De chacun d'eux est descendue une personne en chaise roulante, le visage dissimulé sous une cape grise, sans que l'on sache laquelle des deux était Noriega.

Le but de l'opération était de «nous assurer qu'il n'y ait pas d'éventuel attentat», a affirmé la ministre de l'Intérieur, Roxana Mendez, qui devant les doutes des dizaines de journalistes qui se trouvaient sur place a assuré que Noriega est bel et bien entré en prison «en compagnie du procureur (José Ayu) Prado et de son médecin».

«Je peux garantir que le détenu est entré dans la prison d'El Renacer. Je me suis approché pour m'en assurer», a insisté la ministre.

L'avocat de l'ex-dictateur, Me Julio Berrioz, a protesté en affirmant devant la prison qu'on «avait d'ores et déjà violé les droits de Noriega en ne permettant pas à la défense d'entrer immédiatement en contact avec lui».

La diffusion par une chaîne de télévision à la demande de la ministre d'une photo présentée comme celle de Noriega mais dont on ne distinguait pas le visage, n'a guère dissipé les doutes.

Tard dans la soirée l'ex-dicateur a finalement été montré pendant quelques instants aux journalistes, assis sur une chaise roulante et sous forte escorte.

Ancien agent de la CIA et allié des États-Unis, Noriega, devenu la bête noire de Washington, avait été chassé du pouvoir par une invasion de l'armée américaine le 20 décembre 1989 et emmené à Miami où il avait été condamné pour trafic de drogue à 40 ans de prison, peine réduite à 17 ans.

Il a été condamné à trois peines de 20 ans par contumace au Panama pour la disparition et l'assassinat d'opposants.

«Il ira en prison comme n'importe quelle personne condamnée et sans aucun privilège (...) Il doit payer pour toutes les peines, tout le mal, toute l'horreur, toute la honte, toute la mort» dont il est responsable, avait indiqué dimanche à la presse le président panaméen, Ricardo Martinelli.

Il avait toutefois rappelé que Noriega pourrait bénéficier d'une loi qui permet aux condamnés de plus de 70 ans d'accomplir leur peine à domicile, soulignant que «c'est le système judiciaire qui décide, pas le politique».

Le retour de l'ancien général a fait ressurgir les cauchemars de la dictature, largement relayés ce dimanche par la presse locale, mais n'a suscité que peu d'intérêt au sein de la population.

«L'heure est arrivée pour Noriega d'affronter la justice du Panama pour ses crimes contre l'humanité, pour le système judiciaire de prouver son indépendance et pour les Panaméens de soutenir les victimes» du régime militaire, a dit à l'AFP Alida Spadafora, soeur de l'opposant Hugo Spadafora, enlevé et décapité en 1985.

Atteint de sérieux problèmes de santé, marchant avec difficulté, Noriega a dit à plusieurs reprises qu'il souhaitait regagner le Panama «sans haine ni rancoeur».

«Ici, il n'est pas question de haine ni de rancoeur, mais de faire en sorte que celui qui commet un délit dans ce pays aille en prison», a indiqué Aurelio Barria, fondateur en 1987 de la Cruzada Civilista, un mouvement d'opposition aux militaires, qui a demandé aux Panaméens d'organiser des concerts de casseroles ce dimanche depuis chez eux, pour manifester leur oppositions aux crimes de la dictature.

Photo: AP

Manuel Noriega en 1988.