Le gouvernement d'Ollanta Humala au Pérou fait face à une fronde de cultivateurs de coca contre l'arrachage, épreuve délicate au moment où il veut convaincre de sa fermeté contre le narcotrafic, convoquer un sommet international sur la drogue, et demander une aide étrangère accrue.

Quelques centaines de «cocaleros» (cultivateurs de coca) bloquent depuis le week-end un axe routier vital de la province d'Ucayali (Est), une zone de culture de coca, la matière première de la cocaïne, dont le pays andin est la première source au monde, avec la Colombie qu'il a rattrapée.

La police est pour l'instant intervenue avec mesure, dégageant à plusieurs reprises la route que les cultivateurs rebloquaient plus loin. Des accrochages mineurs ont conduit à une dizaine d'arrestations. Mais des centaines de véhicules restaient immobilisés mardi soir.

En parallèle, le gouvernement a décrété dans quelques districts de l'est un état d'urgence localisé, mesure autorisant le cas échéant le recours à l'armée, en raison de «mouvements continus de guérilleros du Sentier lumineux», alliés au narcotrafic. La zone du blocus d'Ucayali figure parmi les districts visés.

Après 50 jours au pouvoir, c'est le premier conflit social à risque pour le gouvernement de gauche d'Humala, dans un secteur -la coca- où son parti reste suspect, en raison de ses liens avec le monde des cocaleros: plusieurs de ses députés en émanaient ces dernières années, un encore dans l'actuel Parlement.

La culture du petit arbuste est certes légale au Pérou, mais dans la limite de 9000 tonnes de feuilles pour les usages traditionnels: mastication, infusion, thérapie, rituels. Or ce sont 119 000 tonnes que le Pérou a produites en 2010...

«La réduction de la culture de coca, l'arrachage, est une politique de ce gouvernement», a martelé mardi Ricardo Soberon, nouveau coordinateur national contre la drogue, en présentant au parlement la stratégie 2012-2016.

Soberon a dénoncé «30 ans d'échec» de la lutte contre la drogue, menant le Pérou où il en est. Le gouvernement, a-t-il affirmé, mettra un fort accent social sur les cultures alternatives, comme café, cacao, pour que l'éradication «ne nuise pas au paysan, au cultivateur, maillon le plus faible de la chaîne du trafic de drogue».

Sur le plan policier, la priorité sera donnée à la lutte contre le blanchiment d'argent, le contrôle des produits chimiques (pour élaborer la cocaïne), et le renseignement policier.

«Ces belles théories n'annoncent pas de nouvelle stratégie définie», faute de chiffres ou de mesures concrètes, comme muscler la police financière sur la levée du secret bancaire, souligne avec scepticisme l'analyste Ruben Vargas, expert indépendant du narcotrafic.

Surtout, en insistant sur l'importance d'une hausse «draconienne» de l'aide internationale contre le narcotrafic, Soberon perpétue l'erreur de ne pas voir la lutte contre le trafic comme cause nationale, qui «requiert d'engager des budgets publics accrus», souligne-t-il.

Le gouvernement a annoncé pour 2012 un sommet international contre la drogue, qui réunirait à Lima pays producteurs et consommateurs. À cette occasion, il plaiderait pour des moyens internationaux accrus, au nom de la responsabilité partagée entre pays producteurs et consommateurs.

Mais d'ici là, ses gestes seront scrutés, notamment autour de conflits comme avec les cocaleros d'Ucayali. «La gestion de cette crise peut définir la crédibilité de la politique antidrogue du gouvernement. S'il recule, la guerre est perdue», prédit Vargas.