El Gordo vient d'être interpellé. A 17 ans, et déjà tueur à gages, il est escorté, torse nu, pupilles dilatées, par une vingtaine de policiers dans les rues de Cali, soupçonné d'être impliqué dans le brutal trafic d'une drogue en plein essor en Colombie, le bazuco.

Plus puissant et plus toxique que la cocaïne, le bazuco est l'une des principales causes d'une nouvelle violence urbaine provoquée par les narcos, devenue le problème numéro un des autorités.

Concurrencés par des cartels mexicains tenant désormais le haut du pavé de la distribution de cocaïne aux États-Unis, talonnés par la DEA (agence antidrogue américaine), les narcos colombiens l'ont promu pour le vendre sur le marché intérieur et ainsi compenser leurs pertes de revenus.

Le bazuco, c'est un dérivé de la cocaïne, fabriqué avec des «restes» de cette drogue. Il est «très toxique», explique le policier Hector Javier Ortiz Gonzalez, en montrant un minuscule sachet en plastique transparent rempli de poudre, saisi dans une maison du quartier de Siloe, à Cali, consacrée à sa consommation, quelques heures avant l'arrestation de El Gordo.

Les trafiquants, assure aussi le général Miguel Angel Bojaca, chef de la police de Cali (500 km au sud-ouest de Bogota), ont «compris qu'exporter la drogue vers l'étranger n'est pas rentable et se sont emparés des marchés intérieurs des villes, où ils la distribuent à petite échelle».

Un «microtrafic» en partie dirigé par des bandes composées d'ex-paramilitaires d'extrême droite --démobilisés entre 2003 et 2006--, aux conséquences dramatiques.

La Colombie, qui était auparavant un pays producteur, est du coup devenu également un pays consommateur de drogue. Ainsi, selon des données de la Direction nationale de lutte contre les stupéfiants (DNE), 13,2% des jeunes âgés de 18 à 24 ans avaient consommé de la drogue en 2008, contre 4,6% en 1996.

«Le bazuco, (c'est la drogue qui) crée le plus de dépendance, elle altère le système nerveux, selon les personnes elle endort, rend violent, rend fou», ajoute Javier Ortiz. Une prise, généralement consommée à la pipe, coûte 500 pesos colombiens (20 centimes d'euros), et suffit à créer une grave dépendance.

Son commerce est de ce fait extrêmement rentable. Selon la police, un réseau de distribution de bazuco emploie 15 à 20 personnes et rapporte mensuellement jusqu'à 250 000 dollars.

Une manne qui attire toutes les convoitises des jeunes délinquants comme «El Gordo», dans un pays où 46% de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Les gangs comme celui de ce jeune, contrôlant la distribution et la vente pour le compte des narcotrafiquants, se livrent du coup une guerre à mort, s'entretuant quotidiennement, parfois pour le contrôle de quelques rues seulement.

En 2010, 1813 homicides ont été rapportés à Cali, soit 80 morts pour cent mille habitants. Et au moins 30% de ces crimes seraient liés au trafic de drogue.

Lundi encore, neuf personnes ont été assassinées à Cali et dans sa région dans des règlements de compte entre «dealers», selon les autorités locales.

Âge de seulement 17 ans, Luis Angel Sorrel, alias «El Gordo», sur qui la police a trouvé un pistolet Smith et Wesson calibre 38 mm, est accusé d'au moins trois assassinats. Il est également soupçonné d'avoir participé au meurtre d'un policier criblé de balles il y a à peine deux mois.

Cette violence urbaine, expliquent les spécialistes et la police, est le résultat paradoxal du succès du Plan Colombie de lutte contre la drogue, lancé fin 1999 par Bogota avec le soutien (plus de six milliards de dollars) de Washington.

Ce plan avait pour objectif de réduire la production de drogue en Colombie de 50%. Onze ans plus tard, le pari est tenu. La Colombie produit 350 tonnes de cocaïne, contre plus de 900 il y a dix ans et des centaines de «narcos» ont été extradés vers les États-Unis.

Mais pour les jeunes colombiens entraînés dans l'engrenage de la vente et la consommation de drogue -notamment grâce aux lois qui prévoient que le casier judiciaire de tout délinquant est effacé à 21 ans- l'effet boomerang est fatal. Dans les quartiers, leur espérance de vie dépasse rarement 30 ans.