Ils sont des dizaines de milliers en Colombie dont les corps n'ont pas été retrouvés, après avoir été éliminés par l'armée ou les paramilitaires, une «honte face au monde» selon les mots du ministre colombien de l'Intérieur, German Vargas, après des années de silence de l'État.

Selon les données officielles, la Colombie compte 57 854 disparus dont 4210 mineurs.

Sur ces cas au moins 26 500 correspondraient à des disparitions forcées dont seraient responsables l'armée ou les paramilitaires, un chiffre proche des 30 000 disparus sous la dictature en Argentine, même si dans ce dernier pays il ne s'agit pas d'une estimation officielle, mais d'ONG.

«Que la Colombie compte autant de ses citoyens portés disparus est une véritable honte face au monde», a déclaré German Vargas jeudi soir.

«Face à ce chiffre et à la douleur encore plus grande que ces données ne peuvent refléter, l'identification (des disparus) doit être une priorité pour l'État colombien», a-t-il ajouté en présentant une liste de 10 000 disparus qui ont pu être identifiés.

Lundi, Christian Salazar, représentant en Colombie du Haut commissariat des Nations unies pour les droits de l'Homme avait pour sa part jugé les données disponibles «terrifiantes».

Mais aucune donnée fiable n'existe. D'autres chiffres du parquet font état de quelque 35 000 cas de disparitions forcées, tandis que certaines associations évoquent jusqu'à 200 000 disparitions depuis la fin des années 1970.

Christian Salazar pour sa part dénonce l'«impunité» de la plupart des cas de disparition, car, explique-t-il à l'AFP, «chaque jour on découvre de nouveaux chiffres, qui révèlent l'ampleur du phénomène» et il ne s'agit sans doute «que de la pointe de l'iceberg».

«Beaucoup de personnes continuent à ne pas dénoncer par crainte, car, dans les provinces, elles cohabitent encore avec les bourreaux», ajoute-t-il.

Le recours à la disparition forcée remonte à la fin des années 1970 et était d'abord le fait des militaires, dans un contexte de répression générale en Amérique latine, explique l'avocat Pedro Mahecha, spécialiste de ce genre d'affaires.

L'armée éliminait ainsi les militants d'extrême gauche, qu'elle accusait de liens avec les guérillas créés pendant les années 1960.

À partir des années 1990, les milices paramilitaires d'extrême droite se sont chargées de cette tâche, tuant des dizaines de milliers d'innocents qu'elles n'hésitaient pas, dans certains cas, à démembrer pour pouvoir mieux les entasser dans des fosses communes.

Mardi, dans un petit hôtel du centre de Bogota, plusieurs associations s'étaient rassemblées pour dénoncer «l'indifférence» face à une pratique qui a toujours cours.

Dans l'assistance, Fabiola Lalinde, 70 ans, racontait comment elle avait vu partir un jour de 1984 son fils de 26 ans, militant des jeunesses marxistes, pour ne jamais revenir. Après un combat de douze ans pour démontrer qu'il n'était pas un guérillero tué lors d'une tentative de fuite, mais un simple étudiant, elle a pu récupérer ses restes, en 1996.

«On me les a remis dans une boîte en carton, accompagnée d'un inventaire digne d'un magasin: fémur, tant de phalanges...», dit-elle. Fabiola Lalinde n'a toutefois toujours pas obtenu de réparation.

Souvent, témoigne aussi l'avocat Pedro Mahecha, les parents de disparus sont eux-mêmes menacés.

La Colombie dispose pourtant «d'un cadre légal excellent pour résoudre ces affaires», explique Christian Salazar. En décembre, une unité spécialisée a été créée au parquet, une avancée «positive», dit-il.

Les témoignages des ex paramilitaires dans le cadre du processus «justice et paix - offrant des amnisties partielles à ceux qui avoueraient leurs crimes - ont en outre déjà permis d'exhumer 3846 corps de disparus.