Des hommes armés ont «surgi à l'aube quand nous dormions encore et emmené mes frères et soeurs», raconte José Esparza, témoin de l'explosion des rapts dans l'État mexicain du Durango qui détient le record de cadavres retrouvés dans des charniers anonymes.

Cet État est situé dans le nord au pays, sur la route très convoitée de la cocaïne sud-américaine vers les États-Unis. À Durango, la capitale éponyme, les autorités ont découvert en avril six fosses communes clandestines.

À ce jour, 218 cadavres y ont été exhumés. Aucun n'a été identifié.

Les disparitions sont un sujet tabou sur lequel les autorités et la presse locale ne communiquent pas, notamment pour en expliciter les mobiles.

Pourtant, les plaintes pour disparitions ne cessent d'augmenter dans tout le Mexique.

Les observateurs font le lien avec les cartels qui pratiquent l'extorsion et les enlèvements contre rançons pour se financer.

Le Durango est le théâtre d'une guerre sans merci entre les cartels de Sinaloa et des Zetas qui se battent pour le contrôle du trafic de drogue vers les États-Unis, premier consommateur mondial de cocaïne.

José Esparza, mécanicien spécialisé dans l'aéronautique, n'y habite plus.

Il a fui Cuencamé et ses 33 000 habitants en pleine zone désertique.

Il s'est réfugié à San Antonio, de l'autre côté de la frontière avec les États-Unis, au Texas, et témoigne par téléphone. Deux de ses frères et l'une de ses soeurs ont été enlevés et ne sont jamais revenus.

En janvier 2009, le jour de l'enlèvement de ses deux frères, âgés de 34 et 38 ans, et de sa soeur de 32 ans, sa mère a essayé de se réfugier au poste de police municipal avec huit de ses petits-enfants, mais le commissaire a eu trop peur pour lui ouvrir la porte, raconte-t-il.

Ce rapt, au cours duquel une autre personne a été enlevée, a été le tout premier signalé à Cuencamé.

«Ensuite, chaque vendredi ils venaient chercher davantage de personnes du village», raconte José Esparza. Le phénomène s'est subitement arrêté en décembre 2009, après l'apparition de plusieurs policiers décapités sur la place principale de Cuencamé, selon lui.

On ignore s'il s'agit du dernier forfait des ravisseurs, d'un règlement de compte ou d'une vengeance des habitants contre les policiers municipaux, souvent pointés du doigt au Mexique pour leur collusion avec les trafiquants de drogue par des organisations de défense des droits de l'Homme.

À distance, José Esparza s'est organisé avec des habitants de Cuencamé et ils ont recensé 200 disparitions. Selon eux, de nombreux corps ont été jetés dans le bassin de rétention de la centrale hydro-électrique de la ville.

Les premières recherches n'ont pourtant rien donné, selon le vice-ministre à la Sécurité publique de l'État.

Esparza conteste cette version. Pour lui, des plongeurs sont en fait venus chercher un enfant noyé et «quand ils sont sortis, ils ont dit qu'il y avait plus de 40 corps à l'intérieur».

D'autres familles de victimes, qui ont requis l'anonymat, ont dit à l'AFP qu'il y avait des cadavres dans au moins trois autres bassins.

Mais le parquet de Durango et le ministère public fédéral se renvoient le dossier qui n'avance donc pas.

Selon la Commission des droits de l'Homme, malgré la peur des familles, le nombre de plaintes a doublé dans l'État de Durango entre 2009 et 2010, passant de 35 à 70, sans compter Cuencamé.

Près de 5400 plaintes pour disparition ont été déposées depuis l'arrivée au pouvoir du président Felipe Calderon fin 2006, début d'une offensive militaire contre les cartels, dont le bilan s'élève à plus de 37 000 morts, selon la Commission nationale des droits de l'Homme, un organisme public.