Tout de bleu vêtu, un immense sourire aux lèvres, l'ex-président Jean-Bertrand Aristide est rentré hier à Port-au-Prince après sept ans d'exil. Son retour, acclamé par plusieurs milliers de personnes, est le plus récent rebondissement dans le feuilleton qu'est devenue l'élection présidentielle haïtienne. Quel impact aura «Titid» sur le deuxième tour de scrutin, qui doit avoir lieu demain? En Haïti, les paris sont ouverts.

Écoles fermées, rues quasi désertes, véhicules blindés dans les rues, Port-au-Prince attendait le coeur battant, hier matin, le retour de l'ex-président Jean-Bertrand Aristide, en exil depuis sept ans. Qu'allait-il dire en sortant de l'avion? Accorderait-il son soutien à l'un des deux candidats à l'élection présidentielle de dimanche? Ses fidèles allaient-ils faire du grabuge dans les rues? Le suspense était à son comble.

Jean-Bertrand Aristide n'a pas fait attendre ses troupes, hier. Comme prévu, l'avion nolisé qui le ramenait d'Afrique du Sud avec sa femme et ses deux filles est arrivé tout juste après 9 h à l'aéroport de Port-au-Prince. Des centaines de journalistes et de collaborateurs de l'ex-président l'y attendaient.

Quelques minutes à peine après avoir atterri, le politicien a prononcé son premier discours. Du coup, il a lancé un pavé dans la mare en dénonçant l'exclusion de son organisation politique, Fanmi Lavalas, de l'élection présidentielle.

«L'exclusion de Lavalas, c'est l'exclusion de la majorité des Haïtiens. Et le remède, c'est l'inclusion», a dit M. Aristide en créole, laissant entendre qu'il pourrait contester les résultats du deuxième tour du scrutin, qui doit avoir lieu demain dimanche.

Quelque 4 millions d'électeurs devront choisir entre les deux candidats, soit l'ex-première dame Mirlande Manigat et le chanteur Michel «Sweet Micky» Martelly, qui ont remporté le plus grand nombre de votes au premier tour du 28 novembre dernier.

Hormis cette allusion directe au processus électoral, Jean-Bertrand Aristide s'est surtout contenté hier de saluer ses «frères et soeurs» haïtiens, de rendre hommage aux victimes du séisme de 12 janvier 2010 et de remercier ceux qui l'ont aidé à rentrer d'exil, dont le président actuel de l'Afrique du Sud, Jacob Zuma.

Ce dernier se retrouve d'ailleurs au coeur d'un froid diplomatique avec les États-Unis en raison du rôle qu'il a joué dans le retour d'Aristide en Haïti. Le président américain, Barack Obama, l'a appelé directement pour lui demander de retenir M. Aristide encore quelques jours afin de ne pas perturber le scrutin, mais M. Zuma a refusé.

«Les Haïtiens marquent aujourd'hui la fin de l'exil et des coups d'État», a aussi dit M. Aristide en référence à son départ forcé du pouvoir, en 2004. Il soutient depuis avoir été victime d'un coup d'État orchestré par la communauté internationale.

3000 partisans en liesse

Après son discours d'une quinzaine de minutes prononcé en cinq langues, dont le zoulou, Jean-Bertrand Aristide a pris son premier bain de foule hier matin. Selon les agences de presse, environ 3000 jeunes hommes s'étaient massés à l'extérieur de l'aéroport de Port-au-Prince pour l'acclamer. «Titid, notre roi», pouvait-on entendre sans la foule.

Selon Étienne Côté-Paluck, journaliste québécois indépendant qui vit en Haïti, la foule a marché jusqu'à la résidence de M. Aristide, à Tabarre. Espérant voir le politicien, encore très populaire dans les classes les plus démunies d'Haïti, plusieurs jeunes hommes ont escaladé les murs pour s'approcher de sa résidence. D'après certains rapports, les forces de l'ordre ont utilisé des gaz lacrymogènes pour les disperser. Les manifestations de joie se sont cependant poursuivies ailleurs.

«L'atmosphère est plutôt bon enfant. Pour le moment, la foule ne scande pas de revendication politique claire», a noté M. Côté-Paluck hier.

Neutre, pour combien de temps?

Plusieurs experts craignent que la neutralité de Jean-Bertrand Aristide ne soit que temporaire. «S'il rentre en Haïti maintenant, c'est qu'il a des ambitions politiques. Il veut probablement faire dérailler les élections. Il a dit plusieurs fois que ces élections sont illégitimes», dit Philippe Girard, historien établi en Louisiane qui a consacré deux livres à l'histoire récente d'Haïti.

Professeur à l'Université du Québec à Montréal, Daniel Holly estime pour sa part qu'il est trop tôt pour juger de l'impact du retour d'Aristide. «Mais on peut dire qu'il a été accueilli triomphalement, note le politologue. Il peut se passer beaucoup de choses d'ici à dimanche.»

Pour le moment, Aristide soutient qu'il est rentré en Haïti pour participer à la reconstruction du pays et qu'il veut se consacrer à son rôle d'éducateur. Son arrivée survient deux mois après un autre retour remarqué, celui de Jean-Claude Duvalier, le dictateur qui a régné sur Haïti pendant 15 ans.