Après un demi-siècle de paternalisme d'État, les Cubains découvrent avec douleur l'obligation de payer des impôts introduite par le gouvernement de Raul Castro dans le cadre du sauvetage de l'économie de l'île et qui pourrait toucher jusqu'aux chômeurs.

Même si le fisc existe officiellement depuis 1994, la plupart des Cubains échappaient jusqu'à présent aux dispositions sur l'impôt, gelées en attendant une embellie économique, notamment pour les salariés. En 2010, seuls 140 000 travailleurs privés environ étaient taxés sur 11,2 millions d'habitants.

Les choses changent et le gouvernement entend désormais prélever progressivement des impôts sur les revenus, sur le logement ou encore les services publics.

Ce sont ainsi quelque 1,8 million de travailleurs indépendants qui devraient se mettre à leur compte dans les cinq ans, et devenir contribuables.

À ces «cuentapropistas» (travailleurs à leur compte), devraient s'ajouter les employés des coopératives urbaines et de tout le tissu de petites et moyennes entreprises que les autorités s'efforcent de mettre sur pied.

Les autorités savent qu'il faut «développer la culture de l'impôt et la responsabilité sociale», et l'administration fiscale (ONAT) a lancé en février une campagne sous le slogan «nuestro aporte importa» («notre apport est important»).

Beaucoup de Cubains ont obtempéré et décidé de se mettre à leur compte sans attendre, tel le propriétaire d'un «paladar», un de ces restaurants privés qui se multiplient à La Havane depuis trois mois et rencontré par l'AFP.

Daysi Fernandez, qui loue des chambres dans sa «casa particular» (maison particulière) depuis plusieurs années est en revanche plus prudente: «je vais étudier la chose, si je n'y trouve pas mon compte, je rends ma licence».

Selon la nouvelle législation, les «cuentapropistas» doivent payer leur licence, un impôt de 25 à 50% sur leurs revenus, et un autre sur le chiffre d'affaires de leur activité (10%). S'ils veulent un employé, ils doivent acquitter des charges sociales, qui peuvent atteindre jusqu'à 50% du salaire.

Roberto, un mécanicien automobile du quartier de Lawton à La Havane, a fait ses comptes: «J'allais employer mon fils dans mon atelier, mais je m'en sors mieux s'il prend sa propre licence de travailleur indépendant et me donne un coup de main, nous payons moins».

L'économiste Rafael Betancourt a regretté la mise en place selon lui abrupte du système: «il est dommage que le système n'établisse pas une «période de grâce» ou des abattements en fonction des investissements», dans une société où l'épargne est pratiquement inexistante.

Dans un article publié dans le magazine Temas, Rafael Betancourt souligne qu'une charge d'impôt élevée, les contributions sociales et les taxes sur les employés «vont rendre difficiles la capitalisation indispensable au développement des nouvelles activités».

M. Betancourt juge qu'«il faut aussi expliquer les droits et non seulement les devoirs des contribuables, et ainsi rendre public l'utilisation de leurs contributions».

Le feuilleton de l'impôt, qui n'a rien d'une comédie, touche tous les Cubains.

La ministre des Finances Lina Pedraza a expliqué que les agriculteurs seraient aussi concernés avec une taxe sur les terres, en production ou non.

Quand aux chômeurs, ils ne sont pas épargnés: «nous devons étudier un type d'imposition qui puisse s'appliquer aux personnes qui, bien qu'aptes, ne travaillent pas et bénéficient de tous les avantages sociaux», a assuré la ministre.