Le président bolivien Evo Morales, confronté à la plus ample fronde sociale depuis son arrivée au pouvoir en 2006, a fait marche arrière vendredi soir et annulé un décret qui avait entraîné une hausse de 80% des carburants, et déclenché des grèves et manifestations violentes.

«Nous avons décidé, en obéissance au peuple, d'abroger le décret 748 ainsi que les autres décrets qui accompagnaient cette mesure»», a  déclaré Morales en conférence de presse au palais présidentiel à La Paz.

Le décret contesté, annoncé dimanche, avait mis fin à des subventions datant de plusieurs années sur les carburants, se traduisant du jour au lendemain par des hausses brutales de 73% sur l'essence et 83% sur le diesel, les plus fortes en 30 ans.

Les hausses avaient engendré des peurs paniques de répercussion sur les denrées de base, dans le pays andin où 60% de la population vit dans la pauvreté.

Pour amortir l'impact et désamorcer la colère sociale, Morales avait annoncé mercredi une série de mesures, dont une hausse de 20% pour 2011 des salaires dans l'enseignement, la santé, la police et l'armée.

«Toutes ces mesures resteront donc sans effet, il n'y a donc plus aucune raison de devoir subir la hausse des prix des transports et des aliments, ni d'alimenter toute spéculation», a ajouté le président. «Tout revient à la situation antérieure».

Peu auparavant, Morales avait annulé, face à la tension sociale, son voyage à Brasilia où il devait assister samedi à l'investiture de la présidente Dilma Rousseff.

Jeudi, les principales villes de Bolivie avaient été paralysées par une grève des transports et des manifestations. Elles avaient provoqué 15 blessés et entraîné 21 arrestations lors de heurts, notamment dans la grande ville-dortoir d'El Alto jouxtant La Paz.

Particulièrement notables dans les manifestations étaient des syndicats, groupes sociaux, ou Boliviens pauvres, qui ont porté au pouvoir le socialiste Morales en 2006, l'ont réélu triomphalement fin 2009, et criaient jeudi à la «trahison».

Vendredi, les syndicats, celui des transporteurs en tête, avaient promis une mobilisation continue dès lundi sitôt passée une «trêve» du Nouvel An.

Une puissante organisation de mineurs de Huanani, la plus grande mine d'étain du pays, avait notamment menacé d'une marche sur La Paz: une mobilisation à haut risque, étant donné le passé violent des mobilisations de mineurs, et la présence d'explosifs dans leurs manifestations.

La volte-face de Morales est d'autant plus spectaculaire que le président, lors d'allocutions ou d'interviews depuis cinq jours, avait longuement plaidé que les subventions aux carburants étaient intenables, et revenaient à une «saignée» de l'économie bolivienne.

Ces subventions de 380 millions de dollars par an, avait-il rappelé, faisait de l'essence bolivienne la moins chère de la région, alimentant une «terrible contrebande» vers le Brésil, le Pérou, l'Argentine et le Chili voisins.

La suppression des subventions «bénéficiait au peuple bolivien», a insisté Morales vendredi, expliquant que «mes compagnons des mouvements sociaux m'ont dit "c'est important, mais ce n'est pas opportun"».

«Mon gouvernement est né de la souffrance du peuple bolivien, et ce gouvernement, ma présidence en particulier, est redevable au peuple et aux mouvements sociaux», s'est-il justifié.