Le livre d'Anabel Hernandez, Les seigneurs narcos, fait un tabac. Et pour cause: la journaliste mexicaine y décrit, dans ses moindres rouages, la protection qui serait accordée par le gouvernement au tout-puissant narcotrafiquant Joaquin Guzman. Sa vie est maintenant en danger, rapporte notre collaboratrice.

En 2001, le criminel mexicain Joaquin Guzman Loera s'est évadé d'une prison de haute sécurité déguisé en policier. En l'espace de quelques années, il est alors devenu le chef du cartel de Sinaloa, le narcotrafiquant le plus puissant et le plus riche du monde.

Tout cela... grâce au gouvernement mexicain. C'est la thèse que défend la journaliste d'enquête Anabel Hernandez dans son livre Les seigneurs narcos.

On s'arrache cet ouvrage au Mexique depuis sa parution, le 1er décembre. Respectée par ses pairs, admirée par le public pour son franc-parler, cette jeune femme pétillante est l'éternel poil à gratter de la classe politique, dont elle dénonce les magouilles.

Les seigneurs narcos, qui s'appuie sur le récit de témoins privilégiés de la corruption, est la somme d'une monumentale enquête qui gravite autour de Joaquin Guzman, dit El Chapo (Le Petit).

Hernandez retrace l'histoire de Guzman depuis ses débuts dans le narcotrafic, lorsqu'il faisait passer aux États-Unis de la cocaïne cachée dans des boîtes de piments. «C'était un petit paysan primitif, inculte et insignifiant, qui est devenu un grand seigneur de la drogue. Comment? En obtenant la protection des gouvernements de Vicente Fox et Felipe Calderon», affirme la journaliste lors d'un entretien à La Presse.

Pot-de-vin et impunité

Dans son livre, elle réunit des témoignages montrant que des membres du gouvernement de Vicente Fox, qui a présidé le Mexique de 2000 à 2006, auraient directement organisé l'évasion de Joaquin Guzman.

Ce «pacte d'impunité» accordé au chef du cartel de Sinaloa serait toujours en vigueur aujourd'hui, sous le gouvernement de Felipe Calderon.

Dans le livre, cette thèse est étayée par des informations de l'agence antidrogue des États-Unis (DEA). «L'agence aurait trouvé la trace d'un pot-de-vin versé à Fox en 2001 pour garantir le succès de l'évasion de Guzman», indique la journaliste.

La DEA enquêterait aujourd'hui sur Genaro Garcia Luna, actuel ministre de la Sécurité publique, chef de la police sous Fox et «fil conducteur de la corruption», si l'on en croit Hernandez.

Depuis de nombreux mois, la presse mexicaine s'étonne de voir l'insaisissable Guzman et le cartel de Sinaloa passer entre les mailles du filet, alors que de nombreux coups sont portés par la police et l'armée aux narcotrafiquants.

Volée d'insultes

«La prétendue guerre contre le crime du président Calderon est uniquement dirigée contre les ennemis du cartel de Sinaloa», déplore Hernandez, qui expose aussi dans son livre le rôle de la CIA dans le renforcement des cartels mexicains.

Joaquin Guzman aurait été chargé par le gouvernement mexicain de «mettre de l'ordre dans le narcotrafic», d'après la journaliste.

Cette semaine, Hernandez a été la cible d'une volée d'insultes publiées sur Twitter par Vicente Fox: il la traite de «menteuse», de «calomnieuse» et lui conseille de «s'associer avec Julian Assange».

Sa vie est en danger . Le 3 décembre dernier, la jeune femme a déposé une plainte auprès du parquet du district fédéral de Mexico contre Genaro Garcia Luna. Elle affirme avoir découvert, «par des sources extrêmement fiables», l'existence d'un complot ourdi par le ministre et ses collaborateurs pour la faire disparaître en simulant un accident.

Pour Hernandez, l'issue, pour tous ces fonctionnaires qu'elle considère comme corrompus, est inéluctable: «La vérité finira par éclater et ils termineront tous couverts de boue.»

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Le combat des femmes

À l'heure actuelle, ce sont les femmes qui ont pris les rênes du journalisme d'investigation au Mexique. Les menaces de mort et les attaques à leur réputation sont le prix qu'elles paient quotidiennement.

Lydia Cacho, journaliste qui a révélé la protection accordée par des responsables politiques à des réseaux de pédophiles, a été arrêtée illégalement en 2005, maltraitée, menacée et retenue par la police pendant deux jours. L'UNESCO lui a décerné le prix Francisco Ojeda du courage journalistique en 2006.

Carmen Aristegui, qui traite sans relâche de la corruption dans son émission radiophonique, a notamment dénoncé un possible détournement de fonds publics commis par l'ex-président Carlos Salinas. Le groupe médiatique Televisa, qui défend les intérêts du pouvoir, mène une campagne permanente pour la décrédibiliser.

Enfin, récemment, Lucy Sosa et Sandra Rodriguez, deux reporters qui risquent leur vie pour couvrir la violence dans le nord du pays, ont reçu le prix de journalisme décerné par le quotidien espagnol El Mundo

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