Les journalistes mexicains, terrorisés par les assassinats de bon nombre de leurs confrères, ont de plus en plus de difficulté à informer le public sur les affres de la guerre des cartels. Pour combler ce vide, les blogues consacrés aux atrocités commises par les narcotrafiquants prolifèrent, rapporte notre collaboratrice.

En publiant des vidéos inédites d'exécutions, des portraits de narcotrafiquants et des preuves de corruption des autorités, le «Blog del Narco» a forcé le respect des médias et des internautes mexicains.

Avec plus de trois millions de visites, ce site d'information parallèle géré par un étudiant est la sensation du moment.

Tout en accusant la presse traditionnelle d'autocensure, plusieurs blogues de ce type ont ainsi proliféré et suivi la mode du journalisme citoyen.

Ils s'intitulent «Narcotráfico en México», «BalaceraGDL» ou «La Vida Mafiosa». À coups d'images sanglantes, ils prétendent démasquer les autorités véreuses et exposer les viscères de la narcoviolence.

Twitter, Facebook, et d'autres réseaux virtuels jouent aussi le rôle de médias alternatifs. Les citoyens témoins d'une fusillade sont souvent les premiers à publier les photos sur l'internet.

Parfois, ces sites apportent des informations de premier ordre: c'est par exemple sur Twitter qu'est apparue une photo de l'ancien candidat à la présidence Diego Fernandez de Cevallos prise par ses ravisseurs. La nouvelle de son enlèvement s'en trouvait confirmée.

«La confiance qu'inspirent les réseaux sociaux et les blogues anonymes est inversement proportionnelle à la méfiance ressentie par le public envers la presse traditionnelle», explique Leobardo Hernández, chercheur à l'Université nationale autonome de Mexico et spécialiste des réseaux d'information sur l'internet.

«Les blogues et les réseaux virtuels informent avec rapidité, donnent une sensation de proximité et livrent des récits à la première personne, sans passer par des filtres officiels. Tout cela les rend plus crédibles aux yeux du public.»

Presse bâillonnée

Ces blogues se targuent de publier ce que les médias traditionnels n'osent pas révéler. Du coup, ils mettent en évidence une triste réalité: la presse mexicaine est bâillonnée par le crime organisé.

Onze journalistes ont été assassinés depuis le début de l'année 2010. Le Mexique est aussi dangereux pour la presse que des pays en guerre comme l'Irak, l'Afghanistan ou la Somalie, d'après l'organisation Reporters sans frontières.

En septembre dernier, alors qu'un de ses photographes venait d'être exécuté, le journal El Diario de Juarez a fait scandale en publiant un éditorial qui réclamait une trêve aux cartels: «Expliquez-nous ce que vous attendez de nous, ce que nous devons publier ou ne pas publier, afin que nous sachions à quoi nous en tenir» suppliait l'article.

«Les autorités sont mouillées jusqu'au cou avec les cartels. Tous les journalistes le savent, mais ceux qui le disent se font tuer.» L'auteur de ces propos, Jorge Luis Aguirre, est le premier journaliste mexicain à avoir obtenu l'asile aux États-Unis. Il avait reçu des menaces de mort de la part des autorités de l'État de Chihuahua.

Réfugié à El Paso, au Texas, il explique dans un entretien téléphonique accordé à La Presse qu'il est pratiquement impossible d'informer le public sur les affaires de corruption. Aguirre a essayé de le faire sur son blogue d'information alternative, La Polaka. Comme tant d'autres, il a dû s'exiler.