La multiplication d'occupations par des sans-abri de lieux publics et privés à Buenos Aires et sa banlieue dévoile l'ampleur de la pauvreté en Argentine, un terrain fertile pour des manipulations en tout genre au début de la campagne présidentielle de 2011.

Des familles, dont une majorité d'immigrés, ont dressé mardi des tentes et délimité des parcelles dans de nouveaux lieux, portant à sept le nombre de terrains occupés dans le sud de Buenos Aires et sa banlieue (parc de Villa Soldati, deux terrains à Lugano, Bajo Flores, Barracas, La Matanza et Bernal).

Au coeur d'un conflit qui s'étend, le parc de Villa Soldati a pris des allures de camp de réfugiés: 5.700 personnes y vivent dans des conditions pénibles, sans eau ni électricité.

Des émeutes sanglantes ont fait au moins trois morts, deux Boliviens et un Paraguayen, et des dizaines de blessés en une semaine autour de ce parc désormais encerclé par 2500 policiers et gendarmes.

Les mal logés, souvent originaires des pays limitrophes mais aussi argentins, ont décidé d'étendre leur mouvement à d'autres terrains, publics mais aussi privés, et la situation semble hors de contrôle.

Les immigrés, surtout les clandestins, doivent payer des loyers exorbitants pour une chambre dans un bidonville.

Il y a en Argentine 1,8 million de personnes originaires de Bolivie, et autant originaires du Paraguay.

Plusieurs hooligans, soupçonnés d'être proches de militants du parti du maire de la capitale Mauricio Macri (opposition de droite), ont participé aux attaques.

De son côté, le porte-parole des sans-abri du Parc de Villa Soldati est un militant du parti au pouvoir.

La présidente Cristina Kirchner a déclaré elle-même que «ces événements n'arrivaient pas par hasard».

L'élection présidentielle doit avoir lieu en octobre 2011. Plusieurs personnalités politiques ont déjà annoncé leur candidature.

M. Macri, l'un des présidentiables, accuse le gouvernement de refuser de déloger ces personnes pour le déstabiliser, au risque de voir se multiplier les occupations.

Le pouvoir répond que ces occupations ne constituent pas un délit et accuse des militants armés, selon lui proches de la mairie, d'être derrière les violences.

Ces manipulations trouvent dans la pauvreté extrême un terrain fertile.

«Les choses étaient mûres depuis longtemps pour ce que nous voyons: la capitale est un 'country' (quartier fermé) entouré de 7 millions de pauvres», déclaré à l'AFP Jorge Giacobbe, de l'institut Giacobbe et Associés.

Quelque 80 000 familles aisées vivent dans des «countries». Construits récemment, à proximité des bidonvilles, ils illustrent la nouvelle fracture sociale argentine.

«Tant que la pauvreté ne sera pas la priorité, cela ne pourra qu'empirer», poursuit M. Giacobbe. «Entre 30 et 40% de la population du pays vit dans une misère inacceptable».

Pour l'Eglise catholique, 40% de la population totale de 40 millions d'habitants vit en dessous du seuil de pauvreté. Pour l'Institut national des statistiques, accusé de manipuler ses chiffres, 15% des Argentins sont victimes de ce fléau.

A la pauvreté s'ajoute une pénurie de logements.

Seule une petite partie (18%) du budget de la capitale destiné à la construction de nouveaux logements a été dépensée en 2010.

Au niveau national, les mesures semblent également insuffisantes.

«Des mesures de redistribution isolées ont été prises, comme les impôts sur les exportations ou l'allocation enfant», explique Gabriel Puricelli, du Laboratoire des politiques publiques (LPP). «Mais le modèle social n'a pas été revu et la structure fiscale non plus, deux domaines cruciaux», selon lui.