L'Américaine Lori Berenson, libérée lundi après 15 ans de prison au Pérou pour terrorisme, illustre le flirt fatal d'une jeune idéaliste avec une guérilla sud-américaine, jusqu'à devenir malgré elle une coupable emblématique d'un conflit interne aux plaies encore à vif.

La Lori Berenson sortie mardi de la prison pour femmes de Chorillos, à Lima, est une femme de 40 ans, au visage doux encadré de lunettes rondes et d'une sage tresse. Fatiguée par une opération du dos en 2009, elle a élevé en prison un fils né il y a 18 mois, Salvador (dont le père est son avocat et ex-compagnon, Anibal Apari).

On est loin de la pasionaria à la chevelure folle, qui criait à l'injustice à sa condamnation en 1996: «On m'accuse d'avoir combattu la faim et la misère !» lança-t-elle aux caméras. Cette image de «gringa» donneuse de leçons allait la damner aux yeux des Péruviens, las des violences politiques.

New Yorkaise d'une famille aisée d'universitaires, étudiante douée au Massachusetts Institute of Technology, Lori glissa vers l'Amérique latine vers 1990. D'abord par solidarité à distance avec le peuple du Salvador en guerre civile, puis en allant étudier et militer sur place.

Elle se rendit ensuite en 1994 dans un Pérou éreinté par le conflit entre les guérillas de gauche et la répression de l'État, qui fit 70 000 morts et disparus entre 1980 et 2000.

Elle se rapprocha du Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru (d'inspiration guévariste), l'«autre» guérilla avec le Sentier Lumineux maoïste.

«Je ne connaissais pas assez le Pérou en arrivant, ce fut sans doute ma plus grande erreur», médita Berenson lors d'une interview en août au media électronique Peruvian Times, assumant la naïveté de ses affinités. «Mais personne ne m'a forcée».

Elle eut une liaison avec un militant du MRTA, connut un dirigeant, co-loua une maison où furent stockées des armes. La justice ne lui pardonna pas ces promiscuités, même si elle a toujours nié avoir participé au moindre acte de violence ou même en avoir eu connaissance.

«Avec le recul, c'est sans doute ce que m'ont appris les années en prison: l'important n'est pas ce que j'ai fait moi-même, mais ce à quoi j'étais liée», expliqua-t-elle. «J'assume ma responsabilité, et je demande pardon si mes actes ou paroles ont contribué à la violence qui a tant nui au Pérou».

Arrêtée en 1995, Berenson fut condamnée à 20 ans de prison pour «collaboration» avec le MRTÀ et complot présumé contre le Parlement.

Depuis mai, elle a connu un pénible revirement, son enfant dans les bras: d'abord libérée pour bonne conduite, après avoir purgé trois quarts de sa peine, elle a ensuite été réincarcérée en août après un appel du parquet pour vice de forme. Elle est de nouveau libre depuis lundi, mais le parquet a encore fait appel.

Sa libération en mai a scandalisé des familles de victimes du terrorisme, une partie de la presse et de la classe politique. Dans sa rue, des riverains ont tenu des veillées hostiles, dénonçant une femme «assassin d'enfants».

Le président Alan Garcia s'est en revanche étonné de cette «tempête dans un verre d'eau».

Et Berenson sait que malgré son repentir public en mai, son rejet illustre la difficulté d'une réconciliation au Pérou, un sujet «dont on ne parle jamais, un sujet délicat», tant l'inventaire du conflit civil, et des responsabilités, est inachevé.

Elle qui demande «une seconde chance» est aussi devenue malgré elle «le visage d'un terrorisme» aujourd'hui défait, mais qu'«on brandit régulièrement, quand cela sert politiquement», dit-elle, résignée.

«Peut-être que s'ils nous avaient tous tués alors, les co-accusés, il n'y aurait plus personne à blâmer. Peut-être sommes nous plus utiles vivants».