L'année 2010 est marquée par les plus importantes célébrations de toute l'histoire du Mexique, qui fête les 200 ans de son indépendance et les 100 ans de la révolution. Or, dans un contexte de violence extrême, de nombreux Mexicains considèrent qu'il n'y a rien à célébrer. De son côté, dépassé par l'envergure des commémorations qu'il a organisées, le gouvernement conseille aux citoyens de rester chez eux.

Le président Felipe Calderon, coiffé d'un chapeau de fête en forme de cône, agite une crécelle. Dans son dos se profile l'ombre de la mort, armée de sa faux. «Et alors? Vous n'êtes pas d'humeur à faire la fête?» dit la bulle qui sort de la bouche de Calderon. Ce dessin, publié dans le quotidien La Jornada, donne une idée de l'esprit dans lequel se déroulent les festivités du bicentenaire de l'Indépendance et du centenaire de la Révolution mexicaine.

Alors que le gouvernement donne le coup d'envoi, ce soir, aux célébrations les plus fastueuses de l'histoire du pays, de nombreux intellectuels, artistes et militants jouent les trouble-fêtes. «Que célébrons-nous?» demandent-ils, sceptiques quant à la pertinence des réjouissances au moment où le pays est soumis à la barbarie des cartels de la drogue, dont les affrontements ont causé 28 000 morts en quatre ans.

«Nous, Mexicains, nous devons proclamer une nouvelle indépendance, mais face aux cartels» clame l'avocat José Antonio Ortega, auteur d'un livre sur l'insécurité dans lequel il dénonce le doublement du nombre d'homicides et le triplement du nombre d'enlèvements depuis 2006. Quand on lui demande s'il participera aux célébrations, Ortega répond: «J'observerai mes concitoyens pour voir s'ils prennent conscience de la gravité de la situation dans laquelle nous sommes plongés.»

Fêter avec conviction?

L'historien Lorenzo Meyer relève une autre contradiction inhérente aux commémorations: «Le parti conservateur, qui est aujourd'hui au pouvoir, est chargé d'organiser les commémorations de deux mouvements révolutionnaires dont il ne partage pas les idéaux.» Pour exalter les héros de l'indépendance et de la révolution, il n'y a pas de dignitaire moins indiqué que Calderon, estiment les historiens mexicains.

Fait pour le moins cocasse, le gouvernement a financé le film L'Enfer, de Luis Estrada, le succès du moment sur les écrans mexicains. Cette satire de la corruption des autorités aux mains des cartels, qui donne une image exécrable du pays, a en effet bénéficié de fonds publics accordés par la société organisatrice des festivités du bicentenaire!

À Ciudad Juárez, ville la plus violente du Mexique, les célébrations ont été suspendues. Bon nombre d'habitants ont l'intention de fêter l'indépendance de l'autre côté de la frontière, à El Paso (Texas), lieu considéré comme plus sûr. Et à Mexico, le gouvernement fédéral a commis l'aberration de recommander aux habitants de rester chez eux plutôt que de participer aux célébrations dans le centre de la capitale. Craignant la cohue et malgré l'important dispositif de sécurité mis en place, les autorités ont lancé une campagne publicitaire pour convaincre les citoyens d'assister à la retransmission des cérémonies devant leur téléviseur.