«Wyclef a des airs de sauveur. Et les masses populaires haïtiennes ont tendance à croire au messie.»

Comme plusieurs de ses compatriotes, le comédien et écrivain Dominique Batraville croit aux chances du chanteur Wyclef Jean d'être élu à la présidence d'Haïti. «Le bilan politique des hommes au pouvoir depuis Jean-Bertrand Aristide (ancien président) est un échec. Un artiste à la tête d'Haïti, ce serait surprenant, mais peut-être représente-t-il le vent de changement dont le pays a besoin», a dit l'artiste, que La Presse a joint par téléphone à Port-au-Prince.

Le chanteur de renommée internationale devait rentrer en Haïti, hier, pour régler les derniers détails administratifs avant de faire la grande annonce aujourd'hui à l'émission Larry King Live sur le réseau américain CNN.

Le scrutin aura lieu le 28 novembre dans ce petit pays des Antilles qui se relève péniblement du tremblement de terre dans lequel plus de 200 000 personnes ont trouvé la mort le 12 janvier dernier.

«C'est une population très religieuse, qui croit au messie. Wyclef Jean apparaîtra auréolé de sa popularité internationale et de ce qu'il a tenté de faire à Haïti», renchérit Daniel Holly, Haïtien d'origine et professeur au département de sciences politiques de l'UQAM.

«Mais il est beaucoup trop tôt pour faire un pronostic», avertit le politologue. Tout dépend des gens qui l'entoureront, croit-il. Sa méconnaissance de certains dossiers pourrait lui nuire. «Mais ses adversaires ne sont peut-être pas plus au courant, glisse M. Holly. Je suis toujours sidéré de voir à quel point la réalité haïtienne est mal connue de la classe politique.»

Le principal intéressé a indiqué au magazine américain Time qu'il n'aurait pas posé sa candidature s'il n'y avait pas eu le séisme. «J'aurais probablement attendu encore 10 ans. Le tremblement de terre m'a fait prendre conscience qu'Haïti ne peut pas attendre encore 10 ans avant qu'on l'aide à faire son entrée dans le XXIe siècle.»

Celui qui chante If I Was President croit que sa carrière d'artiste est compatible avec ses ambitions politiques. «Si je ne peux pas consacrer cinq ans à mon pays comme président, tous les sujets que j'aborde dans mes chansons, comme l'égalité des droits, ne voudraient rien dire», a dit l'artiste de 37 ans au magazine américain.

Des jeunes qui n'ont jamais vu l'intérêt de voter seront tentés de le faire, estime l'écrivain haïtien Dominique Batraville. Cela pourrait faire une différence dans un pays où plus de la moitié des 9 millions d'habitants ont moins de 25 ans. Les intellectuels et les gens d'affaires pourraient être plus difficiles à convaincre. «Wyclef n'a pas fait les grandes écoles et a déjà ridiculisé la bourgeoisie dans une chanson», rappelle l'artiste.

Originaire de Croix-des-Bouquets, près de Port-au-Prince, Jean a quitté Haïti à 9 ans pour s'installer avec sa famille dans un quartier défavorisé de New York. Son créole rouillé et son français approximatif pourraient nuire à sa candidature, selon certains. Autre obstacle: la star risque d'affronter son propre oncle, l'actuel ambassadeur d'Haïti à Washington, Raymond Joseph.

La coalition de Wyclef Jean porterait le nom de Ansanm Nou Fo, ce qui signifie «ensemble nous sommes forts» en créole. Sa candidature pourrait toutefois être rejetée par le conseil électoral. Le chanteur doit notamment démontrer qu'il a habité à Haïti pendant cinq années consécutives, qu'il y possède une propriété et qu'il détient uniquement la citoyenneté haïtienne.

Or, certains pensent que les exigences liées au domicile seront laissées de côté puisque Jean a été nommé ambassadeur global par le président René Préval en 2007. La star a d'ailleurs fondé un organisme de charité, Yélé Haïti, qui a recueilli des millions de dollars après le séisme. Des allégations de mauvaise utilisation des fonds sont toutefois venues jeter une ombre au tableau. Un site d'informations américain a lancé qu'une partie de l'argent servait à financer ses projets artistiques. De simples «erreurs de comptabilité» qui ont été corrigées depuis, a répondu la vedette.

Dans la communauté haïtienne de Montréal, la candidature de Wyclef Jean suscite de l'espoir, mais aussi du scepticisme. Comme Haïti ne reconnaît pas la double citoyenneté, ceux qui ont la citoyenneté canadienne ne pourront toutefois pas exprimer leur opinion dans l'isoloir.

L'ex-hockeyeur Georges Laraque n'hésite pas un seul instant à lui prédire la victoire. «Wyclef en a déjà fait beaucoup pour le pays, peut-être même plus que ceux qui ont été élus. Je suis certain qu'il va gagner et que ça fera une grosse différence», a dit l'ancien homme fort du Canadien.

«Wyclef Jean aime son pays, mais il reste du domaine de l'énigme. On connaît l'artiste et sa sensibilité pour Haïti, mais est-ce que ça suffit? Certainement pas», dit de son côté le responsable de la station CPAM, Pierre Emmanuel.

- Avec AP, AFP, Time et PC