«C'est dangereux d'avoir ce genre de trucs à la maison et, en plus, nous avons besoin d'argent», explique un jeune Mexicain en ouvrant un grand sac de plastique contenant deux fusils d'assaut, qu'il compte remettre aux autorités du programme officiel «Vivre sans armes, échange contre argent, 2010».

Au coeur de Mexico, la file d'attente est longue sur la place de la station de métro Insurgentes, où se trouve le stand du ministère de la Sécurité, qui organise l'échange avec le ministère de la Défense.

Le programme a été lancé en 2004 face à l'inquiétante augmentation des exécutions sanglantes liées aux cartels de la drogue, qui se livrent une guerre sans merci pour contrôler l'approvisionnement du marché américain, premier consommateur mondial de cocaïne.

Depuis l'arrivée au pouvoir du président Felipe Calderon, en décembre 2006, quelque 23 000 personnes ont été tuées au Mexique au cours d'affrontements entre cartels et forces de sécurité, ou dans des règlements de compte entre truands. Le chef de l'État avait pourtant fait de la lutte contre les barons de la drogue une priorité nationale.

Ce singulier échange entre armes et argent est organisé chaque année dans différents États de la République fédérale du Mexique. En 2010, le budget de l'opération à Mexico avoisinait dix millions de pesos (800 000 dollars, 650 000 euros).

Ces millions de pesos à répartir peuvent paraître dérisoires en comparaison des milliards de dollars générés chaque année par le trafic de cocaïne vers les États-Unis, mais ont tout de même permis aux autorités de récupérer 1 560 armes à Mexico l'an dernier.

«Cette semaine, une dame a reçu 75 000 pesos (6 000 dollars, 4 800 euros) contre dix fusils de calibre 12», raconte Rodolfo Rivera, l'un des organisateurs du ministère.

Au Mexique, le salaire minimum ne dépasse pas 4 dollars par jour.

Les candidats à l'échange répugnent à parler aux journalistes, même sous couvert de l'anonymat. Coiffure «rasta» et lunettes noires, le jeune homme aux deux fusils d'assaut confie seulement qu'il avait acheté ces armes «pour (sa) protection», il y a longtemps.

On peut échanger ici des armes inutilisables - qui ne rapporteront pas plus que l'équivalent de 15 dollars -, mais aussi des gros calibres qui pourront être repris, eux, pour la coquette somme de 600 dollars.

Les candidats à l'échange peuvent apporter autant d'armes qu'ils le souhaitent sans avoir à dévoiler la manière dont ils les ont acquises, ni à décliner leur identité et leurs coordonnées.

Lance-roquettes, mortiers, grenades... tout s'échange. «Le but, c'est de retirer un maximum d'armes des mains des civils, pour réduire la criminalité et les accidents. C'est de la prévention», souligne M. Rivera.

Le programme a pourtant des limites, parmi lesquelles le vaste trafic d'armes en provenance des États-Unis. M. Calderon a demandé à plusieurs reprises au président Barack Obama l'aide des autorités américaines contre ce trafic, d'où proviennent 90% des armes détenues au Mexique, selon son administration.

Une autre de ces limites est, elle, beaucoup plus locale: «Certains échangent leur arme contre de l'argent pour aller en acheter une autre», explique Maria Elena Morera, présidente de l'organisation anti-délinquance «Causa Comun» (cause commune).

«Ils vont à Tepito», précise-t-elle, désignant le quartier «chaud» de Mexico, spécialisé dans la prostitution, la contrebande et... les trafics de toutes sortes, y compris des armes.