Alors que Christopher «Dudus» Coke reste introuvable, l'armée jamaïcaine poursuit son siège du quartier de Tivoli, fief de ce baron de la drogue de la capitale, Kingston. Le gouvernement a reconnu que 46 civils sont morts jusqu'à maintenant dans le cadre des combats entre les soldats de Dudus et ceux de l'armée. L'AFP évaluait hier soir le bilan à au moins 60 victimes.

Quand Lester Lloyd Coke est mort dans un mystérieux incendie en prison, en attente de son extradition vers les États-Unis, en 1992, un ancien premier ministre, Edward Seaga, alors chef de l'opposition, était dans la première rangée de son cortège funéraire. Près de 20 ans plus tard, son fils, Christopher «Dudus» Coke, héritier d'une dynastie de trafiquants de drogue, est lui-même menacé d'extradition et met l'île à feu et à sang.

 

La famille Coke n'est pas étrangère aux tragédies. Le fils aîné du patriarche Lester Lloyd Coke a été assassiné dans une guerre de trafiquants le jour même de la mort de son père -ce qui pourrait ne pas être une coïncidence. La soeur de Dudus a été liquidée pour la même raison quelques années plus tard, tout comme un autre de ses frères, en 2004.

Cette violence répond à celle de Lester Lloyd Coke : il a fondé, pour asseoir son empire de la cocaïne et du crack, le gang Shower Posse, dont le nom signifie que ses membres criblent leurs victimes de balles. Les autorités américaines attribuent au Shower Posse 1000 morts depuis les années 80, et la police de Toronto vient d'en arrêter 12 membres - le gang est inconnu à Montréal, qui compte moins de 10 000 habitants d'origine jamaïcaine. Selon Newsweek, Lester Lloyd Coke aurait même été responsable de l'assassinat, en 1984, de sept transfuges du Parti travailliste jamaïcain -alors dirigé par Edward Seaga.

»Robin des bois»

Le secret du pouvoir des Coke, et de Dudus en particulier : ils assurent dans les quartiers qu'ils contrôlent une relative sécurité. «La Jamaïque est assez particulière», explique Elizabeth Zeichmester, politologue de l'Université Vanderbilt, au Tennessee, qui gère un projet de sondages politico-sociaux dans tous les pays des Amériques. «Plus de 80% des Jamaïcains estiment que la violence et la criminalité sont le problème principal de leur pays, mais 80% des gens se sentent en sécurité dans leur quartier. Ça semble indiquer que les organisations criminelles réussissent à garder une certaine légitimité en assurant la protection de la population civile. D'ailleurs, pour un pays où la violence préoccupe autant la population, la Jamaïque garde un assez bon respect pour les institutions gouvernementales. Ça reflète probablement ce sentiment de sécurité relatif de la population.»

S'il faut en croire les médias jamaïcains, Dudus jouit d'un fort soutien de la population de Tivoli Gardens. On le décrit comme un «Robin des bois». «Nous ne sommes pas des otages, nous sommes libres, ils mentent», ont scandé des femmes qui défilaient devant les militaires vendredi dernier, au lendemain de la signature de l'ordre d'extradition.

L'affaire est un véritable ouragan politique. Un ministre du gouvernement travailliste a démissionné après que des médias eurent révélé qu'il avait rencontré les avocats de Dudus dans le cadre du processus d'extradition.

Selon le New York Times, Dudus avait des millions de dollars de contrats de «consultation» du gouvernement, parce qu'il aidait le Parti travailliste durant les jours d'élections (les autres partis auraient aussi des liens avec les groupes criminels). Son père était lui-même un constructeur immobilier au carnet bien garni. Le premier ministre travailliste Bruce Golding a accédé à la demande d'extradition après plusieurs années de pressions américaines. Il a d'ailleurs tenté de sauver la mise en réclamant le dévoilement de l'identité du policier jamaïcain qui a recueilli, comme agent double, les preuves nécessaires pour les procureurs américains. Ce policier est maintenant protégé par le programme des délateurs du gouvernement américain.

 

Photo: AP

Christopher «Dudus» Coke