Les liens entre partis politiques et mafia n'ont jamais été un mystère en Jamaïque, mais les événements des derniers jours, qui ont vu les forces de l'ordre s'en prendre aux gangs, pourraient être le signe d'un changement, espèrent des observateurs.

Depuis que l'île des Caraïbes a obtenu son indépendance des Britanniques en 1962, les deux grands partis jamaïcains n'ont guère fait d'efforts pour cacher leurs liens avec les gangs, des liens qui leur permettent de faire le plein de voix aux élections et de contrôler des secteurs où la police ne met pas les pieds.

Mais, en déclarant dimanche l'état d'urgence pour permettre l'arrestation du narcotrafiquant présumé Christopher «Dudus» Coke, le premier ministre travailliste Bruce Golding s'en est pris au chef d'un gang qui soutient historiquement son parti. Depuis, les combats entre pègre et forces de l'ordre ont fait au moins 60 morts.

Bruce Golding a agi à la suite d'une demande d'extradition des États-Unis, qui accusent Coke de diriger un réseau fournissant plusieurs grandes villes de la côte Est, dont New York, en cocaïne et marijuana.

Malgré les colonnes de fumée qui obscurcissent le ciel de Kingston, beaucoup de Jamaïcains voient dans cette décision le début d'une nouvelle ère et la fin de la «politique du ghetto» («garrison politics»), qui veut que dans les bidonvilles de l'ouest de la capitale, ce soient les gangs qui fassent la loi.

Ricardo Thomas, 30 ans, qui travaille dans un café, estime que les relations entre la classe politique et un homme réclamé par la justice américaine n'ont que trop duré. «Quand il y a un rat qui commence à puer dans votre maison, il est temps de faire du nettoyage», dit-il.

Pour le révérend Earlmont Williams, pasteur d'une église locale, «ce qui est en train de se passer est incroyable et très triste, mais pourrait être l'aube d'une nouvelle ère».

Les chefs de gangs doivent leur popularité à l'incapacité du gouvernement d'améliorer le bien-être des habitants des quartiers pauvres de l'ouest de Kingston, explique-t-il.

Coke et ses semblables en ont profité pour imposer leur loi en s'appuyant sur le soutien fanatique des habitants à qui ils assurent protection, éducation et nourriture.

Dans cette relation de vassalité, le protecteur attend traditionnellement en échange toutes sortes de services, d'une couverture occasionnelle face à la police à des faveurs sexuelles de la part des jeunes filles.

«Il est considéré comme Robin des Bois ou même Jésus, quelqu'un qui les défend et est prêt à mourir pour eux, même si c'est un messie du mal», résume Earlmont Williams.

Le parti d'opposition, le Nouveau parti populaire, qui n'est pas étranger lui-même à la politique du ghetto, a accusé Bruce Golding d'avoir tardé à agir contre Christopher Coke.

Mais la lutte contre les criminels est une affaire qui «transcende les lignes partisanes», répond le ministre de l'Information, Daryl Vaz. «Le moment est venu de nous y consacrer frontalement, sans nous trouver des excuses».

Pour certains, il n'est pourtant pas certain que les choses puissent changer si vite. «Je ne vois pas comment ils vont réussir à éliminer aussi rapidement une machine politique qui est au coeur de la vie jamaïcaine depuis 30 ou 40 ans», juge Michael C. Chettleburgh, expert des gangs et auteur d'un livre sur le sujet Young Thugs: Inside the Dangerous World of Canadian Street Gangs.