La mort a surpris Daniel quand il absorbait une gorgée de bière, Johiman dans un taxi et Victor en train de jouer avec ses enfants chez lui. Ils ne se connaissaient pas, mais les trois gisent maintenant à la morgue de Caracas, une des capitales les plus violentes d'Amérique du Sud avec des dizaines de morts chaque week-end.

Samedi et dimanche, 67 personnes ont été tuées au cours de la fin de semaine la plus meurtrière depuis le début de l'année 2010. L'an dernier, 140 homicides ont été perpétrés pour 100 000 habitants à Caracas, selon des chiffres non officiels. Le gouvernement ne publie plus de chiffres de criminalité globale depuis des mois.

«Des gars sont arrivés pour lui voler sa moto, il a résisté et ils lui ont tiré une balle dans la tête. Il avait deux petits enfants. Il faut que justice soit faite», sanglote Beatriz Martinez, mère de Victor Miranda, abattu samedi.

Devant les portes de la morgue de Bello Monte, saturée par le nombre de cadavres, les familles attendent des heures voire des jours avant de pouvoir récupérer le corps d'un être cher.

La douleur fait souvent place à la colère contre les forces de l'ordre jugées inefficaces.

«Jamais je n'aurais pensé me retrouver ici un jour. C'est le sort de ce pays. Tuer est un sport national. Si chacun était autorisé à se venger, je ne crois pas qu'il y aurait autant de morts chaque week-end», affirme Mirima Zuniga, dont le frère a été tué samedi.

Assis devant les portes de la morgue, un acte de décès à la main, José, un ouvrier de Maracay (ouest), attend patiemment pour récupérer le corps de son fils de 22 ans, décédé dans une tentative de vol.

«C'est la loterie, quand ça t'arrive, ça t'arrive. C'est ça ce pays», assure-t-il avant d'éclater en sanglots.

«C'est une grande impuissance. Je sens que je ne peux rien faire», répète Juan Abano, en attendant le cadavre de Johiman, inspecteur du Tribunal suprême de Justice (TSJ), criblé de balles dans un taxi.

L'enfer a commencé vendredi dans la nuit pour les parents de Daniel, un jeune visé par des tirs à Petare, un des quartiers les plus dangereux de la capitale.

«Il est en train de mourir!», ont crié à l'hôpital Perez de Leon les brancardiers qui le réceptionnait le plus rapidement possible avec le mince espoir de lui sauver la vie.

Sa mère l'a transporté dans sa voiture, alors qu'il perdait son sang. Maintenant elle pleure, assommée par la douleur: les médecins n'ont pu que constater la mort, provoquée par neuf impacts de balle.

«Il a plusieurs blessures par balle, au cou, au visage et au torse. Celui qui a fait ça voulait vraiment le tuer», dit un brancardier, en introduisant le corps à la morgue. Dans sa hâte, le personnel n'a pas refermé les yeux du mort.

Ces scènes sont quotidiennes à l'hôpital Perez de Leon. «Les week-ends, surtout quand les gens touchent leur paie, sont les plus compliqués», assure Haydé Rada, responsable des infirmières des services d'urgence.

«Cela fait dix ans que je suis ici et j'ai 23 années d'expérience, mais je suis un être humain et parfois je me sens impuissante», ajoute-elle, émue.

«Ce n'est pas la faute du gouvernement, c'est la faute aux familles, c'est un problème culturel, ils ne font pas d'efforts pour que leurs enfants fassent des études», commente un officier de police à l'extérieur.

Des agents surveillent l'entrée de l'hôpital. Leur mission est de protéger les blessés et leurs familles, de calmer les esprits de proches, impatients ou furieux après la mort d'un être cher.