Le procès à Buenos Aires de l'ex-officier argentin Alfredo Astiz, accusé d'être impliqué dans l'enlèvement et le meurtre de deux religieuses françaises, a réveillé les fantômes de la dictature (1976-83) avec la multiplication de menaces, y compris contre la présidente Cristina Kirchner.

«Il s'est passé beaucoup de choses ces derniers jours qui montrent que les dinosaures sont encore là», a réagi Mme Kirchner, devant la presse.

L'ex-capitaine de corvette Astiz, 58 ans, a donné le ton à l'ouverture de son procès vendredi, en s'affichant avec un livre sur la violence des années 70, intitulé «Tuer de nouveau».

Le même jour, des inconnus ont intercepté les communications entre l'hélicoptère de la présidente et la tour de contrôle de l'aéroport de la capitale. Sur cette fréquence, ils ont diffusé en fond sonore une marche militaire choisie par la junte pour annoncer son coup d'État du 24 mars 1976, tandis qu'en allusion à la présidente, on pouvait entendre «Tuez la jument! Tuez-là !», selon l'enregistrement de la séquence, qui a été diffusé par la chaîne de télévision C5N.

Le chef du gouvernement Anibal Fernandez y a vu «une manoeuvre d'intimidation, une menace», n'excluant pas que les faits soient liés au début du procès d'Alfredo Astiz.

Toujours vendredi, l'ancien chef militaire de la dictature Luciano Menendez, 82 ans, condamné à la perpétuité pour la troisième fois à Cordoba (centre), s'en est pris aux «guérilleros qui sont aujourd'hui au pouvoir».

Dimanche, le procureur fédéral du procès Astiz, Eduardo Taiano, a à son tour reçu une menace anonyme sur son répondeur.

«Nous savions que cette réaction viendrait, que la fin de l'impunité réveillerait d'importants secteurs des forces armées, des services de renseignement et de l'extrême droite», commente l'historien Ulises Gorini, auteur d'une histoire des Mères de la Place de mai.

Pour lui, «l'attitude du gouvernement est contradictoire». «D'un côté, il a fait un grand pas pour en finir avec l'impunité. Mais, de l'autre, il n'offre pas aux témoins une sécurité suffisante», ajoute-t-il.

D'autant, selon cet historien, que des centaines d'agents de la dictature sont toujours en liberté.

La «disparition», en septembre 2006, de Jorge Julio Lopez, témoin capital dans le procès d'un tortionnaire de la dictature, l'ancien policier Miguel Etchecolatz, est une menace qui pèse toujours sur chaque personne qui ose témoigner.

«Nous avons besoin d'une réponse claire, immédiate et sans appel de la part des juges», a déclaré pour sa part Rodolfo Yanzon, avocat des plaignants au procès Astiz qui a dénoncé dès vendredi l'attitude de l'ancien officier.

Rodolfo Yanzon s'est entretenu mardi avec les magistrats qui ont semblé être pris de court par le comportement d'Astiz. «Ils se sont engagés à prendre désormais les mesures nécessaires pour éviter toute attitude provocatrice», a dit l'avocat.

Depuis l'accession au pouvoir de Nestor Kirchner (2003-2007) --époux de Mme Kirchner auquel elle a succédé en décembre 2007--, l'annulation des lois d'amnistie et la réouverture des procès, les autorités argentines souhaitent que les responsables d'exactions soient rapidement jugés.

Astiz est accusé d'avoir participé à l'enlèvement de deux religieuses françaises, Alice Domon et Léonie Duquet, les 8 et 10 décembre 1977. Elles ont été torturées à l'Ecole de mécanique de la marine (Esma) où près de 5 000 personnes ont été détenues et où très peu ont survécu.

Dix-neuf militaires sont poursuivis dans le cadre de ce procès.