Le procès de l'ancien capitaine de corvette Alfredo Astiz, celui qu'on surnomme «l'ange blond de la mort», tortionnaire emblématique de la dictature argentine, s'ouvre ce vendredi à Buenos Aires. Il est poursuivi pour crimes contre l'humanité pour de nombreux assassinats, dont ceux de deux religieuses françaises.

Le procès d'Astiz est un des principaux chapitres de ce que l'on appelle le «méga-procès de l'ESMA», chargé de se pencher sur les innombrables crimes commis dans les sous-sols de l'Ecole de mécanique de la Marine (ESMA), qui fut l'un des principaux centres clandestins de détention, de torture et de disparitions pendant les années noires de la dictature argentine (1976-83). Selon les différentes sources, plus de 5 000 personnes sont passées par l'ESMA, dont moins de la moitié ont survécu. Des milliers de crimes commis à la sinistre ESMA, antichambre de la mort du régime militaire, font l'objet de procès. Dix-huit autres ex-membres de la Marine viennent aussi devant les juges, dont Jorge «Tigre» Acosta, Adolfo Donda, Antonio Pernias y Juan Carlos Rolon.

Astiz, 58 ans, doit répondre de sa participation à l'enlèvement et à la disparition des religieuses françaises Alice Domon et Léonie Duquet, des fondatrices des Mères de la Plaza de Mayo et de l'écrivain et journaliste Rodolfo Walsh.

«Seule une partie des personnes responsables sont jugées ici» confie Luis Alem, le sous-secrétaire d'État aux Droits de l'Homme du gouvernement. «Nous espérons que ce sera un point de départ et qu'ils seront condamnés à la prison à vie».

Peu après le coup d'État de 1976, un groupe de parents dont les enfants avaient disparu, enlevés par les sbires de la dictature, commença à se réunir dans une église de Buenos Aires pour échanger informations et soutien. Ils étaient assistés par trois religieuses françaises, Alice Domon, Léonie Duquet et Ivonne Pierron.

Un jeune homme de 25 ans, blond, aux yeux clairs et à l'air innocent, Gustavo Nino, dont le frère avait disparu, participait au groupe, très impliqué, et ne manquant jamais une réunion.

Entre le 8 et le 10 décembre 1977, Alice Domon, Léonie Duquet et dix des proches de disparus furent enlevés par la Marine. Ivonne Pierron y échappait miraculeusement.

L'opération militaire était dirigée par ce même jeune homme aux yeux clairs et cheveux, qui avait infitré le groupe: le capitaine de frégate Alfredo Astiz.

Selon des témoignages, Léonie Duquet fut détenue dans les locaux de l'ESMA, en plein coeur de Buenos Aires, puis jetée dans l'Atlantique au cours d'un de ces «vols de la mort», couramment pratiqués par les tortionnaires de la «guerre sale». Son cadavre réapparut quelques jours plus tard sur les côtes de la province de Buenos Aires, et elle fut enterrée par les militaires dans une tombe anonyme à quelque 300 km au sud de Buenos Aires.

Avec les religieuses françaises furent également séquestrées trois fondatrices des Mères de la Plaza de Mayo, Azucena Villaflor de De Vincenti, Esther Ballestrino de Careaga y Maria Ponce de Bianco. Les restes de Léonie Duquet et d'Azucene Villaflor furent identifiés en 2005. Les autres n'ont jamais été retrouvés.

Alfredo Astiz a été condamné à la détention à à perpétuité par contumace en France en 1990 mais jamais extradé. Il a été condamné également à la perpétuité en Italie pour la disparition et la mort de trois Italo-argentins, et réclamé par la Suède qui veut le juger pour celle de la jeune Dagmar Hagelin.

Une autre des affaires qui seront examinées pendant le procès est la disparition et l'assassinat du journaliste Walsh en 1977, au lendemain de la publication d'une lettre ouverte aux dirigeants de la junte.

Jugé une première fois en 1985, Astiz fut amnistié en vertu des deux lois d'amnistie dites de «l'obéissance dûe» et du «point final» adoptées à l'époque. Il a été à nouveau arrêté en 2003 pendant la présidence de Nestro Kirchner, déchu de la Marine. Les procès de la dictature argentine ont repris en 2005, après l'annulation des lois d'amnistie par la Cour suprême.

Il y aurait en tout 385 autres Argentins attendant d'être jugés pour les crimes de la «sale guerre». Selon les chiffres officiels, quelque 13.000 personnes ont disparu pendant les années de «guerre sale». Les organisations de défense des droites de l'homme évoquent le chiffre de 30 000.