Les urubus sont les seuls animaux actifs du moment dans le Chaco: ces vautours noirs, charognards d'Amérique du Sud sont même à la fête dans le sud bolivien, où la sécheresse depuis des mois fait tomber les têtes de bétail par milliers.

Les carcasses, plus ou moins décomposées, parsèment les pistes de terre, dégageant une odeur atroce sous la chaleur accablante qui a battu il y a peu des records locaux, à 48 degrés. Et autour des points d'eau asséchés, entre les bosquets d'épineux, quelques bovins se traînent, ou vacillent. «Il n'a pas plu depuis huit mois, se lamente Telesforo Vega, un paysan de 65 ans de la région de Pelicano près de la frontière argentine, l'une des plus touchées. «Il a plu un peu il y a trois jours, mais c'était comme nous donner juste une bouffée d'air».

«On est fichus, notre bétail se meurt», explique Telesforo, même s'il se sait plutôt épargné, pour n'avoir perdu que «quelques» vaches sur 300. Il avait à l'avance stocké du fourrage, qui manque aujourd'hui à l'échelle de la région.

L'Argentine et le Paraguay frontaliers du Chaco, mais aussi l'Equateur au nord, frappé par sa plus grande sécheresse en 40 ans, le Venezuela, à 25% en-deçà de ses besoins d'eau, et surtout le Guatemala en crise alimentaire: plusieurs pays d'Amérique latine souffrent de l'impact du phénomène d'anomalies climatiques El Nino, pourtant annoncé cette année comme plus modéré qu'en 1997-98.

Dans le Chaco bolivien peu peuplé (130.000 habitants éparpillés), rompu aux températures extrêmes, l'homme tient le coup.

«Si on a pu avoir de l'eau cette année, c'est en la prenant dans des puits pour donner aux animaux, et pour la consommation humaine, on dépendait des camions-citernes», explique Victor Hugo Leon, un paysan.

Mais les animaux, qui tiennent une semaine au plus sans eau, paient à la longue.

Sur les provinces de Santa Cruz et Tarija, 5.000 têtes de bétail ont péri ces dernières semaines (sur 50.000 environ), selon les dernières données, aléatoires, du ministère de l'Environnement. Et 15.000 au moins sur le sud du pays. Côté Chaco paraguayen, 5.000 bovins ont succombé.

Plus de 5.000 hectares de culture (maïs, cacahuète notamment) sont perdus.

Le climat n'est pas le seul coupable: pour Marcelo Castillo, ingénieur du gouvernement provincial, le défrichage pour accroître les surfaces cultivables, et la pratique excessive du «chaqueo» (brûler des parcelles de pacage en vue des semailles) ont joint leur effet au réchauffement climatique.

À travers le Chaco, des centaines d'hectares noircis, recensés par l'AFP, attestent ainsi d'un peu de végétation sacrifiée, d'humidité, qui aurait pu atténuer l'effet de la sécheresse.

Selon le Senamhi, la Météo nationale, les pluies devraient arriver en décembre dans le Chaco, mais la sécheresse pourrait se faire sentir en fait jusque mars.

À court terme, le gouvernement mène une course contre la montre, avec l'affrètement de 25 camions-citernes, et de 100 tonnes de fourrage, vers les zones les plus touchées, souvent reculées.

En même temps, il investit dans du structurel, avec la construction de 13 barrages ou retenues d'eau, budgétés pour 3,7 millions de dollars. «Une fois construits, on n'aura pas de problèmes, mais ce sera dans un ou deux ans», prévient le vice-gouverneur provincial, Adolfo Reinoso.

Et à long, très long terme, l'État va plaider, comme à la Conférence sur le climat de Copenhague, pour que les nations industrialisées assument leur «dette climatique» envers des pays pauvres comme la Bolivie, micro-émetteurs de gaz à effet de serre, mais durement touchés entre fonte des glaciers, sécheresse, et cycles climatiques erratiques.