Dans la rue, ils disent se faire traiter «d'assassin» ou de «boucher». Mais ces ex-soldats chiliens de la dictature, jeunes conscrits au début des années 1970, réclament aujourd'hui eux aussi le statut de «victimes», contraints à emprisonner, torturer ou tuer.

Un statut qui leur ouvrirait la possibilité de dédommagements pour «dommages psychologiques». Ils se plaignent d'avoir été floués par le dictateur Augusto Pinochet, qui imposa plus de deux ans de service militaire, quand la durée légale était 12 mois. Et d'avoir été depuis stigmatisés et oubliés.

Près de 20 ans après la fin de la dictature (1973-90), les victimes ou leurs proches familles ont reçu l'attention des gouvernements démocratiques successifs, notamment sous la présidence de Michelle Bachelet, elle-même emprisonnée et torturée avant son exil.

Les familles des plus de 3100 tués ou disparus, les 28000 torturés ou détenus politiques, reçoivent ou ont reçu des dédommagements, évalués au cas pas cas, versements d'argent, aides aux études des enfants, au logement, à la santé.

Un «processus de réparation» dans lequel l'État, sans donner le détail, dit avoir investi 290 millions de dollars.

«À nous, personne n'a jamais rien donné. Nous sommes les victimes oubliées», dénonce Maximo Nunez, dirigeant de la Coordination nationale des ex-conscrits, qui demande des réparations à l'État pour quelque 500000 recrues forcées sous la dictature.

«Le simple fait d'avoir revêtu l'uniforme fait de nous des victimes de l'État, qui nous obligea à faire des choses contraires à notre volonté», plaide Nunez, qui comme nombre de congénères allait avoir 18 ans lorsqu'il fut enrôlé en 1973.

Beaucoup furent ainsi privés d'études, d'un travail, itinéraires brisés pour lesquels ils demandent compensation, sous forme de retraite, ou de règlement d'une «dette morale».

«Nous étions des enfants, ils nous effrayaient en nous disant qu'on était confrontés à des extrémistes», explique Luis Burgos, président du Groupement des ex-conscrits, qui revendique 80000 adhérents.

Ces ex-soldats, dont la voix va crescendo, ont récemment manifesté à Santiago.

Ils sortent de l'ombre alors que le gouvernement de centre-gauche, dans ses derniers mois de mandat, cherche à ancrer au maximum le souvenir des années noires: il vient de créer un «Jour de l'exécuté politique», en plus du «Jour du détenu et disparu» existant déjà. En attendant un prochain Musée de la Mémoire.

«On a identifié des civils, des politiques, comme victimes, mais les organisations de droits de l'homme devraient aussi appliquer ce label à des mineurs qui ne firent que suivre la loi», insiste Burgos.

Les familles des disparus goûtent peu ces doléances et rappellent que «des conscrits aussi figurent parmi les disparus, parce qu'ils refusèrent d'accomplir des tâches» de torture, d'exécution.

«Si on a obligé ceux-ci, alors qu'ils se rapprochent des tribunaux et dénoncent» les donneurs d'ordre, lance Gabriela Zuniga, de l'Association des Familles de détenus et disparus.

Car pour beaucoup au Chili, le processus judiciaire est encore loin d'être achevé malgré plusieurs dizaines de condamnations prononcées depuis dix ans, avec des procédures toujours en cours contre plus de 500 agents, en majorité militaires, de la dictature.

«Ce sera à la justice de déterminer», répond Burgos sur la responsabilité spécifique d'ex-conscrits dans des violations de droits de l'Homme...