L'ancien guérillero José Mujica a remporté dimanche le premier tour de l'élection présidentielle en Uruguay avec 47,5% des voix. Un second tour se tiendra dans un mois. Le successeur du président Vazquez dirigera alors une petite république de 3,5 millions d'habitants dotée d'une forte identité libérale. Par exemple, le changement de prénom et de sexe pour les transsexuels et l'adoption d'enfants par des couples homosexuels y sont désormais légaux, une grande première en Amérique latine.

«Mes élèves m'appellent déjà Collette et ils me disent maîtresse». Longs cheveux blonds décolorés, boucles d'oreilles en forme de dauphins et lunettes carrées d'institutrice, Collette jubile. À 44 ans, cette Uruguayenne née sous le prénom d'Alejandro voit son identité sexuelle officiellement reconnue.

 

La semaine dernière, le Parlement de son pays a en effet voté une loi qui permet aux transsexuels de changer leur prénom et leur sexe sur leurs documents officiels.

«J'ai désormais le droit de vivre en accord avec mon identité sans avoir à effectuer une opération de changement de sexe. Cela me donne la sensation de passer du statut de personne de second rang à celui de personne à part entière», explique Collette, en buvant son Coca-Cola à la terrasse d'un café du port de Montevideo.

Le mois dernier, plusieurs de ses amis ont célébré une autre victoire: la légalisation de l'adoption d'enfants par des couples homosexuels, une grande première en Amérique latine, alors que ce droit est encore peu reconnu dans le monde.

La nouvelle loi précise que les parents adoptifs doivent être unis sur le plan civil, avoir au moins 25 ans et 15 ans de plus que l'enfant. Face aux critiques de l'Église, la sénatrice de centre-gauche Margarita Percovich explique que «le texte ne se concentre pas sur les droits homosexuels, mais sur celui des enfants à avoir une famille».

Progressiste et laïque

Ces deux réformes prouvent que l'Uruguay reste un pionnier dans la défense des droits des minorités, au sein d'une Amérique latine plutôt conservatrice.

«Le gouvernement de Tabaré Vazquez est celui qui s'est le plus occupé des minorités en 30 ans de démocratie, que ce soit les homosexuels, les handicapés ou les pauvres», se félicite Collette.

La petite république de 3,5 millions d'habitants a multiplié les plans d'assistance sociale, autorisé l'union civile entre couples homosexuels, sous la même forme que le Pacs français (Pacte civil de solidarité) et aboli l'interdiction pour les gais de travailler dans l'armée.

Mais d'où vient cette fibre libérale? «L'immigration européenne a doté notre pays d'une culture politique progressiste et laïque», répond Adolfo Garcé, professeur de sciences sociales à l'Université de la République de Montevideo.

Le politologue Juan Carlos Doyenart précise que «l'Église a très tôt été marginalisée du pouvoir, comme dans l'éducation avec la loi de 1879 sur le modèle laïque français. Puis, il y a eu une loi de séparation entre l'Église et l'État comme en France, c'est-à-dire en instaurant une laïcité pure et dure qui a ouvert le terrain aux libéraux et aux mouvements de gauche».

L'Uruguay a été le premier pays latino à légaliser le divorce en 1907, puis le droit de vote aux femmes en 1932. Il a même failli autorisé l'avortement, après Cuba et la Guyane. Mais le président Vazquez, médecin de formation, a opposé son veto l'année dernière, se posant en défenseur de la vie «dès les premières semaines de gestation».

Ce n'est que partie remise. En cas de victoire confirmée de José Mujica, candidat de la coalition de gauche du Frente Amplio, cette réforme a de grandes chances de passer.