Pour le journaliste colombien Hollman Morris, lire ses courriels le matin est loin d'être un geste banal. Le mois dernier seulement, l'animateur de l'émission d'enquête Contravia a reçu au moins 50 menaces de mort dans sa boîte de réception.

Ce n'était pas la première fois qu'une telle chose se produisait. Hollman Morris a presque l'habitude des courriels dans lesquels sa photo apparaît couverte d'une croix noire, accompagnée d'accusations de toutes sortes.

 

Le journaliste, à l'aube de la quarantaine, père de deux jeunes enfants, se promène depuis plusieurs années en voiture blindée, accompagné de gardes du corps fournis par l'État colombien. Une situation tendue, certes, mais qui ne l'empêche pas de faire son travail.

Malgré la menace, peut-on voir dans le documentaire Témoin indésirable, présenté cette semaine au Festival de films sur les droits de la personne de Montréal, le journaliste indépendant se rend dans les coins les plus reculés de son pays.

Il y rend compte du conflit armé qui dure depuis 50 ans, des violations des droits de l'homme, commises tour à tour par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) d'extrême gauche, l'armée colombienne ou les «nouveaux» groupuscules armés, issus des rangs des groupes paramilitaires d'extrême droite, démobilisés en 2006. La diffusion des reportages qu'il réalise - souvent au milieu de la nuit - est fréquemment suivie de mises en garde haineuses à son endroit.

Accusations présidentielles

Aux yeux du journaliste, les menaces qu'il a reçues au cours du dernier mois sont toutefois d'un autre ordre. «Ce qui a changé cette fois, c'est que le président (Alvaro) Uribe et le ministre de la Défense m'ont accusé publiquement de collusion avec les guérillas armées. Tout ça parce que je faisais mon travail dans une zone de conflit armé», a-t-il dit à La Presse cette semaine, lors d'une entrevue dans un café de l'avenue du Parc.

«C'est de la stigmatisation et ça a mené à 50 menaces de mort. Nous avons aussi dû arrêter le tournage du documentaire (sur les FARC) réalisé avec la télévision suisse», ajoute-t-il. L'équipe de journalistes helvètes a plié bagages après avoir elle aussi été aussi victime de chantage.

Le crime qui leur est reproché est d'avoir interrogé quatre otages des FARC juste avant que ces derniers ne soient relâchés par leurs ravisseurs. Les propos des quatre hommes n'ont jamais été diffusés, mais la réaction du président colombien, qui maintient la ligne dure avec la guérilla marxiste depuis son élection en 2002, ne s'est pas fait attendre. Il a accusé Hollman Morris ainsi qu'un autre collègue, Jorge Enrique, «de se réfugier derrière leur condition de journalistes pour être de permissifs complices du terrorisme».

En se remémorant ces mots, Hollman Morris hausse les épaules. «Le gouvernement qui est censé assurer ma sécurité me traite de terroriste», ironise-t-il.

Les Nations unies et la Commission interaméricaine des droits de l'homme ont condamné les propos du président colombien, arguant que les accusations proférées «mettent en danger la vie et l'intégrité personnelle des journalistes et des défenseurs des droits de l'homme».

Situation précaire

Ces derniers n'ont déjà pas la vie facile en Colombie. On estime à plus de 100, le nombre de journalistes qui ont été tués dans l'exercice de leurs fonctions depuis 1988. Et à plus de 2000, les syndicalistes qui ont été assassinés.

Des centaines de défenseurs des droits de l'homme ont aussi dû s'exiler, dont des dizaines de professionnels de l'information. Au cours des dernières années, Hollman Morris a quitté temporairement son pays à quelques reprises avec sa famille, mais il refuse de mettre la clé dans le verrou de sa maison de Bogota. «Le plus facile est de partir, mais nous devons rester pour donner une voix aux victimes du conflit». Et Dieu sait qu'il y en a: plus de trois millions de Colombiens sont toujours déplacés. Et 3000 autres sont kidnappés, bon an, mal an par les groupes armés.

Visite montréalaise

En visite à Montréal, Hollman Morris prononcera une conférence sur la violence à l'égard des journalistes en Amérique latine ce soir à 18h au coeur des sciences (175, avenue du Président-Kennedy) en compagnie d'Ingrid Berjeman, professeure à l'Université Concordia.

Le documentaire Témoin indésirable du réalisateur Juan José Lozano sera présenté vendredi à 19h au Cinéma du Parc en présence de M. Morris.