En Sierra Leone, pour s'inscrire à un examen, être raccordé à l'électricité ou simplement circuler en voiture, il faut bien souvent offrir un « petit cadeau » à un fonctionnaire, un policier ou un professeur indélicat.

Malgré les campagnes gouvernementales, la corruption reste un problème quotidien pour la plupart des habitants de ce pays pauvre d'Afrique de l'Ouest où se tient samedi le second tour de l'élection présidentielle.

L'ancien ministre Samura Kamara, candidat du parti au pouvoir, peine à se débarrasser de l'étiquette de « Monsieur 10 % », tandis que son adversaire, issu du principal parti de l'opposition, Julius Maada Bio, est accusé d'avoir détourné 18 millions de dollars à son bref passage à la tête de l'État en 1996.

Le pays d'un peu plus de sept millions d'habitants figure à la 128e place sur 180 dans le dernier classement de « l'indice de perception de la corruption » de l'ONG Transparency International.

Le phénomène est omniprésent, explique à l'AFP, dans son petit bureau de Freetown, la directrice de la section sierra-léonaise de l'ONG, Lavina Banduah, « que vous vouliez vous relier au réseau d'électricité, acheter un terrain, ou obtenir une bourse pour étudier à l'étranger... »

À la gare routière qui jouxte le marché central de la capitale, Tamba Ellie, un jeune chauffeur de bus, assure que « quand on parle de corruption, on parle toujours de la police ». « Ils prétendent qu'on a commis une infraction cette semaine, ou la semaine dernière, sans preuve et sans raison », dit-il.

Pour lui, il n'y a pas d'autre choix que de payer, « sinon le véhicule est immobilisé pendant des heures ».

Trafic de notes

Dans un autre quartier, un homme de 28 ans, qui ne veut donner que son prénom, Abioseh, garde un souvenir pénible des examens du brevet de professeur.

« On m'a demandé de payer pour passer des épreuves. Mais à l'époque, je n'avais pas les 500 000 leones (environ 50 euros) réclamés. Donc, alors que j'avais pourtant beaucoup étudié, j'ai tout de même été recalé sur une matière parce que je n'avais pas payé », affirme-t-il.

Selon Abioseh, dans les écoles secondaires ou à l'université, le paiement se fait également régulièrement « en nature ».

« Des professeurs se laissent séduire par des étudiantes et certaines étudiantes préfèrent séduire leur professeur qu'étudier », explique le jeune homme, en estimant que cela ne se produirait peut-être pas si les enseignants n'étaient pas payés « avec cinq ou six mois de retard ».

Avec l'aide financière du gouvernement britannique, les autorités ont mis sur pied une Commission anticorruption, chargée de la prévention, mais aussi de la répression. Depuis quelques années, un numéro gratuit permet de dénoncer les cas de corruption.

L'agence publie des statistiques tous les trois mois et met en exergue des cas exemplaires. Une infirmière qui demande l'équivalent de 25 euros « avant de réaliser une transfusion sur un enfant de moins de 5 ans », ou encore des policiers qui réclament « chaque matin » environ un euro à tous les conducteurs de voiture ou de moto dans le centre de Freetown.

En février, quatre hommes liés au diocèse anglican de Bo (sud) ont été condamnés à des peines de trois ans de prison pour avoir détourné de l'argent destiné aux victimes de l'épidémie d'Ebola, qui a ravagé le pays entre 2014 et 2016, souligne la commission.

Selon la directrice de Transparency Sierra Leone, Lavina Banduah, les actions de la commission anticorruption et de la justice commencent à porter leurs fruits.

« Nous avons constaté que beaucoup de responsables avaient été pris en faute », dit-elle, faisant état de licenciements de policiers et de poursuites de fonctionnaires. Mais la corruption à grande échelle reste la plus difficile à combattre « parce qu'on ne voit pas les échanges d'argent », reconnaît-elle

Abioseh, le jeune professeur, reste à convaincre. « Je connais la ligne gratuite, mais je ne les contacte pas. C'est juste une perte de temps », dit-il.