Le nouvel homme fort du Zimbabwe Emmerson Mnangagwa se préparait jeudi à prendre officiellement les rênes du Zimbabwe avec pour priorité la reconstruction de son économie, sortie exsangue des trente-sept ans du règne de Robert Mugabe.

Trois jours à peine après la démission historique du plus vieux dirigeant de la planète, M. Mnangagwa doit être investi vendredi chef de l'État lors d'une cérémonie organisée au National Sports Stadium de la capitale, Harare.

Dans un message diffusé à la veille de sa prise de fonctions, il a «imploré tous les Zimbabwéens de rester patients et pacifiques et de s'abstenir de toute vengeance».

«Soyons exemplaires alors que nous travaillons à la consolidation de l'unité et de la prospérité de notre nation», a-t-il ajouté.

Le parti au pouvoir, la Zanu-PF, désormais dirigé par M. Mnangagwa, a battu le rappel de la population.

«Venez et soyez les témoins de l'Histoire en marche, nos premiers pas dans une nouvelle ère et un pays meilleur conduit par notre camarade adoré ED Mnangagwa», ont proclamé les organisateurs de la cérémonie dans les rues d'Harare.

À 75 ans, M. Mnangagwa, un fidèle du régime aux rêves de pouvoir longtemps contrariés, tient sa revanche. Mais «le Crocodile», ainsi qu'il est surnommé par les Zimbabwéens, n'est pas au bout de ses peines.

«Il hérite d'une économie en lambeaux, d'un parti divisé et d'une population qui a de très fortes attentes», a relevé jeudi le journal d'opposition NewsDay.

«Unité»

Mercredi, quelques heures après son retour d'un bref exil sud-africain, M. Mnangagwa a servi au pays un premier message d'unité en appelant «tous les patriotes du Zimbabwe (...) à travailler ensemble».

Conscient des attentes du pays, il a promis de «relancer l'économie» et de créer des emplois. Il a été «très clair sur ce dont nous avons besoin: du travail, du travail, du travail», s'est félicité jeudi le quotidien d'État The Herald.

Avec un taux de chômage estimé à 90 %, les Zimbabwéens vivent de petits boulots dans l'économie informelle. D'autres ont émigré, souvent chez le géant sud-africain voisin.

Robert Mugabe a laissé derrière lui une économie détruite par ses réformes dévastatrices. L'activité y tourne au ralenti, l'argent manque et le spectre de l'hyperinflation rôde.

Longtemps considéré comme son dauphin, Emmerson Mnangagwa a été limogé le 6 novembre sur ordre de la première dame, qui espérait succéder à son mari. Il avait alors quitté le pays pour des raisons de sécurité.

Son éviction a provoqué dans la nuit du 14 au 15 novembre un coup de force de l'armée, catégoriquement opposée à l'arrivée au pouvoir de l'incontrôlable Grace Mugabe.

Après avoir résisté plusieurs jours, Robert Mugabe a finalement rendu les armes mardi, à 93 ans, sous la menace d'une procédure de destitution lancée par son propre parti.

L'annonce de sa chute a provoqué des scènes de liesse à Harare. Portraits décrochés, photos masquées, les Zimbabwéens ont vite signifié leur désir de tourner la page.

«Prudemment optimiste»

L'arrivée au pouvoir d'Emmerson Mnangagwa suscite toutefois quelques inquiétudes. Pilier de l'appareil sécuritaire zimbabwéen depuis quatre décennies, il s'est signalé comme le fidèle exécuteur des basses besognes de l'ex-président.

Comme l'a rappelé l'ONG Amnesty International, «des dizaines de milliers de personnes ont été torturées, ont disparu ou ont été tuées» sous l'ère Mugabe.

Prudente, elle aussi, l'opposition a affiché sa préférence pour la mise en place d'un gouvernement d'union nationale jusqu'aux prochaines élections, prévues en 2018.

«Nous restons prudemment optimistes quant à la capacité du futur gouvernement Mnangagwa de ne pas reproduire le régime mauvais, corrompu, décadent et incompétent de Mugabe», a déclaré Obert Gutu, porte-parole du principal parti d'opposition, le Mouvement pour le changement démocratique (MDC).

«Les généraux et Mnangagwa doivent se rendre compte qu'en renversant Mugabe, ils ont aussi fait sortir le génie de la démocratie de sa lampe», a commenté Peter Fabricius, de l'Institut pour les études de sécurité (ISS) de Pretoria. «Essayer de l'y faire rentrer ne sera pas chose aisée.»

Plus de vingt-quatre heures après sa chute, Robert Mugabe et son épouse ne sont pas réapparus en public.

Ni l'armée ni le futur président n'ont révélé le moindre détail sur le sort qui leur sera réservé, nourrissant toutes les rumeurs, notamment autour de sa possible participation à la cérémonie d'investiture de son successeur et tombeur.

«Nous travaillons aux modalités de la transition», s'est contenté de faire savoir M. Mnangagwa.

Le président sud-africain Jacob Zuma a pour sa part indiqué qu'il n'en serait pas, et envoyé ses «meilleurs voeux» à M. Mugabe.