Le président zimbabwéen Robert Mugabe a mis un point final à trente-sept ans de règne sans partage sur le Zimbabwe en présentant sa démission mardi sous la pression de l'armée, de son propre parti et de la rue qui a aussitôt laissé éclater sa joie.

Une semaine après un coup de force de l'armée, le plus vieux dirigeant en exercice de la planète, 93 ans, a annoncé sa décision historique dans une lettre au président de l'Assemblée nationale.

«Moi, Robert Gabriel Mugabe (...) remets formellement ma démission de président de la République du Zimbabwe avec effet immédiat», a lu Jacob Mudenda, provoquant un tonnerre d'applaudissements dans les rangs des élus qui débattaient depuis quelques heures de la destitution.

Son ancien vice-président Emmerson Mnangagwa, 75 ans, devrait être nommé dès mercredi président par intérim, selon le parti au pouvoir, la Zanu-PF.

Très attendue, l'annonce du départ de l'homme fort du pays a été saluée par des milliers de personnes en liesse, dansant dans les rues de la capitale Harare sous un concert d'avertisseurs.

«Je suis si heureux que Mugabe soit parti», a réagi Tinashe Chakanetsa, 18 ans. «Trente-sept ans de dictature, ce n'est pas rien. Maintenant je rêve d'un nouveau Zimbabwe dirigé par le peuple et non une seule personne».

«Heureux» 

«Je suis tellement heureux, la situation va enfin changer, spécialement pour nous les jeunes», a exulté Walter Zvowuya, un diplômé d'université de 27 ans contraint de vendre de l'essence dans la rue. «Ce gouvernement nous avait laissé tomber».

L'armée, qui contrôle de fait le pays, a appelé au calme pour éviter tout débordement. Son chef d'état-major, le général Constantino Chiwenga, a invité la population «à faire preuve de la plus grande retenue et à pleinement respecter la loi et l'ordre».

Accueilli en libérateur à l'indépendance de la colonie britannique en 1980, le «camarade Bob» a dirigé son pays d'une main de fer, muselant tous ses opposants et ruinant son économie. Mais il semblait indéboulonnable, dernier chef d'État africain issu des luttes pour l'indépendance encore au pouvoir.

La première ministre britannique, Theresa May, a salué son départ, estimant qu'elle «offre au Zimbabwe l'opportunité de se forger une nouvelle voie, libre de l'oppression qui a caractérisé son pouvoir».

Les États-Unis ont également relevé que le départ de Mugabe était «une opportunité historique pour les Zimbabwéens» d'en finir avec «l'isolement» de leur pays.

«Libérateur»

C'est la deuxième épouse de Robert Mugabe, Grace, 52 ans, qui a précipité la chute de son régime.

Le 6 novembre, l'impopulaire première dame a obtenu l'éviction du vice-président Emmerson Mnangagwa, qui lui barrait la route dans la course à la succession de son mari, à la santé de plus en plus fragile.

Le limogeage de ce fidèle du régime a provoqué dans la nuit 14 au 15 novembre une intervention en douceur de l'armée, qui n'a officiellement pas fait de victime.

Les militaires, qui se sont défendus de mener un coup d'Etat, essayaient depuis d'obtenir en douceur la reddition du chef de l'Etat, afin d'éviter les critiques et une éventuelle intervention des pays voisins, où l'aura du «libérateur» Robert Mugabe est restée très forte.

Mais à plusieurs reprises, M. Mugabe a catégoriquement rejeté les appels à la démission. Dimanche soir, il s'est même permis un ultime bras d'honneur en refusant d'annoncer à la télévision nationale le départ que tout le monde attendait.

La direction de la Zanu-PF, son propre parti, l'avait pourtant spectaculairement démis de ses fonctions de président dimanche, avait exclu de ses rangs son épouse et menacé de le révoquer s'il refusait de se démettre.

Faute de signe de sa part, la Zanu-PF a lancé mardi au parlement une procédure de destitution, du jamais vu dans l'histoire du pays.

«Adieu grand-père» 

«Mugabe a autorisé sa femme à abuser des ressources de l'État (...), à insulter et humilier le vice-président de ce pays, l'honorable Emmerson Mnangagwa» et à «menacer de tuer le vice-président Mnangagwa», l'a accusé son parti dans sa motion de destitution.

Le débat avait à peine commencé au parlement, lorsque le président de l'Assemblée a lu la lettre de démission de M. Mugabe.

«Ma décision de démissionner est volontaire. Elle est motivée par ma préoccupation pour le bien-être du peuple du Zimbabwe et mon souhait de permettre une transition en douceur, pacifique et non violente qui assure la sécurité nationale, la paix et la stabilité», a écrit le chef de l'État démissionnaire.

«Il n'avait plus d'autre choix. C'était écrit», a commenté le chef de la minorité parlementaire Innocent Gonese, du Mouvement pour un changement démocratique (MDC).

Des Zimbabwéens euphoriques ont immédiatement arraché le portrait de M. Mugabe qui trônait dans le centre de conférences d'Harare où le Parlement était réuni.

Samedi, à l'appel des anciens combattants de la guerre d'indépendance devenus les fers de lance de la fronde, des dizaines de milliers de manifestants étaient déjà descendus dans les rues de Harare et de Bulawayo, la deuxième ville du pays, aux cris de «Bye bye Robert» et «Adieu grand-père».

«Crocodile»

La période de transition qui s'ouvre devrait être dirigée par l'ancien vice-président Mnangagwa, bombardé dimanche président du parti au pouvoir et candidat à l'élection présidentielle de 2018.

En exil depuis son éviction, il devrait «prêter serment en tant que président pour une période de 90 jours», a déclaré le porte-parole de la Zanu-PF, Simon Khaya-Moyo. Sa nomination devrait être officialisée mercredi par le président du Parlement.

Cacique du régime, celui que les Zimbabwéens surnomment «le crocodile» était aux commandes lors des différentes vagues de répression des quatre dernières décennies.

Sans attendre sa nomination, l'opposition a demandé des négociations pour démocratiser le pays.

Mais un autre chantier attend le nouveau président: la reconstruction d'un pays en ruines, où le chômage atteint 90% de la population.

«Le nouveau dirigeant devra montrer un visage sympathique à la communauté internationale», relève l'expert Derek Matyszak (Institut pour les études de sécurité - ISS). «Si le pays s'effondre, les militaires ne seront pas payés et il y aura un risque de nouveau coup d'Etat. «Il faudra donc faire vite et bien.»

AP

Robert et Grace Mugabe en 2008.

Robert Mugabe en dix dates

• 21 février 1924 : naissance à Kutama (ouest de Salisbury, devenu Harare) dans une famille de paysans.

• 1960 : après des années à l'étranger, il rentre en Rhodésie et s'engage au sein du Parti national démocratique (NPD). Après son interdiction, il adhère à l'Union du peuple africain du Zimbabwe (ZAPU) de Joshua Nkomo, avant de fonder avec des dissidents la ZANU (Union nationale africaine du Zimbabwe)

• 1964-74 : Mugabe est placé en détention. Libéré, il prend la direction de la ZANU (interdite) et mène, avec la ZAPU de Joshua Nkomo, la lutte armée contre le régime blanc de Ian Smith. La guerre de 1972 à 1979 fait 27 000 morts.

• 18 avril 1980 : indépendance de la Rhodésie, rebaptisée Zimbabwe. Mugabe est premier ministre et son partenaire de lutte, Joshua Nkomo, ministre de l'Intérieur.

• 17 février 1982 : limogeage de Nkomo, accusé de complot. Une dissidence armée dans le Matabeleland (ouest), son fief, provoque une sanglante répression (20 000 morts).

• 30 décembre 1987 : Mugabe devient chef de l'État après une révision de la Constitution.

• Février 2000 : rejet d'un projet de Constitution qui devait renforcer ses pouvoirs. Il laisse les vétérans de la guerre d'indépendance exproprier plus de 4000 fermiers blancs.

• Mars 2008 : l'opposant Morgan Tsvangirai le devance au 1er tour de la présidentielle, mais renonce après des violences contre ses partisans. Mugabe est réélu en juin, ainsi qu'en 2013.

• Décembre 2014 : reconduit à la tête du parti au pouvoir, il intronise Grace, épousée en secondes noces en août 1996, à la présidence de sa puissante Ligue féminine et effectue une vaste purge.

• Novembre 2017 : Le 6, Robert Mugabe limoge son vice-président Emmerson Mnangagwa, présenté comme son dauphin, provoquant une crise politique majeure. Le 15, l'armée prend le contrôle de Harare et place le chef de l'État en résidence surveillée. Lâché par son propre parti et menacé de destitution, il démissionne le 21.