Les juges de la Cour pénale internationale ont autorisé l'ouverture d'une enquête sur des crimes contre l'humanité présumés qui auraient fait au moins 1200 morts au Burundi, devenu fin octobre le premier pays à quitter la CPI.

Dans une décision rendue sous scellés le 25 octobre, la CPI «a autorisé le procureur (...) à ouvrir une enquête sur des crimes relevant de la compétence de la Cour qui auraient été commis au Burundi ou par des ressortissants burundais à l'extérieur de leur pays depuis le 26 avril 2015 et jusqu'au 26 octobre 2017», a-t-elle annoncé jeudi dans un communiqué.

L'autorisation concerne «notamment: le meurtre et la tentative de meurtre, l'emprisonnement ou la privation grave de liberté, la torture, le viol, la disparition forcée et la persécution».

Ce pays de la région des Grands Lacs est plongé dans une grave crise depuis que le président Pierre Nkurunziza a annoncé en 2015 sa candidature à un troisième mandat, qu'il a obtenu après une élection boycottée par l'opposition.

Les violences qui ont accompagné cette crise auraient engendré au moins 1200 morts, la détention illégale de milliers de personnes et la torture de milliers d'autres, des centaines de disparitions ainsi que le déplacement de plus de 400 000 personnes entre avril 2015 et mai 2017, d'après les estimations de la Cour basée à La Haye.

Ces crimes auraient été commis par des agents de l'État, «dont la police nationale burundaise, le service national de renseignement et des unités de l'armée burundaise» opérant «conjointement avec des membres des Imbonerakure, la ligue des jeunes du parti au pouvoir», a affirmé la Cour pénale internationale.

Le retrait du Burundi de la CPI a pris effet le 27 octobre, mais celle-ci reste «compétente à l'égard de crimes qui auraient été commis pendant que le Burundi était un État partie au Statut de Rome», traité fondateur de la Cour, période durant laquelle Bujumbura reconnaissait sa juridiction, a-t-elle souligné.

«Tricherie» de la CPI

«Le Burundi est tenu de coopérer avec la Cour dans le cadre de cette enquête, car celle-ci a été autorisée le 25 octobre 2017, avant la date à laquelle le retrait a pris effet», ont insisté les juges.

Le gouvernement burundais a de son côté immédiatement dénoncé l'ouverture de cette enquête.

«La CPI, corrompue, vient de se tirer encore une balle dans le pied», a réagi le responsable de la communication présidentielle Willy Nyamitwe sur Twitter. «La tricherie saute aux yeux. Sans doute que le Burundi sortira vainqueur de cette bataille, c'est la dernière carte de l'Occident.»

Alors que Bujumbura dénonce une autorisation «antidatée», la Cour explique avoir voulu permettre à la procureure Fatou Bensouda de «préparer et mettre en oeuvre des mesures de protection» envers «les victimes et les témoins potentiels».

Cette autorisation de la CPI fait suite à l'examen préliminaire lancé en avril 2016 par Mme Bensouda et offrant «une base raisonnable pour mener une enquête», selon les juges.

La procureure pourra étendre son enquête avant ou après les dates annoncées «si certaines conditions juridiques sont remplies» et l'élargir à d'autres crimes tels que les crimes de guerre et/ou le génocide.

Si elle recueille suffisamment de preuves, Mme Bensouda demandera aux juges «de délivrer soit des citations à comparaître soit des mandats d'arrêt».

La Fédération internationale des ligues des Droits de l'Homme (FIDH) a salué une «décision courageuse alors que l'enquête annoncée sera semée d'embûches, en raison de l'opposition violente d'un régime en pleine dérive autoritaire».

«Les autorités burundaises ont tenté de cacher leurs crimes en interdisant la venue d'observateurs internationaux et de journalistes» et de «se soustraire à la justice internationale», a déclaré Karine Bonneau, responsable Justice internationale de la FIDH. «L'annonce d'aujourd'hui montre que cette tentative était vaine.»

Juridiction unique établie en 2002 pour juger les crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide, la CPI estime qu'«il n'y a pas de conflit de compétence entre la Cour et le Burundi», affirmant que «les autorités du Burundi étaient demeurées inactives» face à la situation de crise.