Ouverte il y a près d'un an, la crise anglophone au Cameroun a connu son épisode le plus sanglant dimanche avec au moins 17 morts en marge d'une proclamation symbolique d'«indépendance» vis-à-vis des francophones, selon un bilan établi par Amnesty International et des sources officielles.

À ce bilan viennent s'ajouter deux autres morts comptées au cours du week-end dans les deux régions anglophones.

«Amnesty International peut confirmer qu'au moins 17 personnes ont été tuées par les forces de sécurité lors des manifestations d'hier (dimanche) dans plusieurs villes des régions anglophones du Cameroun», a annoncé Amnesty lundi.

Le gouverneur du Nord-Ouest, une des deux provinces anglophones, a fait état à la radio d'État de 11 morts dans sa seule région, dont cinq au cours d'une tentative d'évasion dans une prison.

Un comptage des autorités régionales du Sud-Ouest a fait état de six morts dimanche dans cette région.

Pour sa part, le porte-parole du gouvernement, Issa Tchiroma Bakary, a parlé de «dix morts», dont les cinq prisonniers qui ont tenté de s'évader.

Les médias n'auront plus le droit de donner la parole aux «personnes qui promeuvent l'idée de sécession», a prévenu le porte-parole.

Lundi matin, la situation restait tendue à Buea, la capitale du Sud-Ouest. Seules les forces de sécurité patrouillaient dans les rues entièrement vides.

Les 70 kilomètres séparant Buea de Douala, la capitale économique, étaient bloqués. «Nous avons reçu des instructions des autorités pour ne pas rouvrir la circulation», a expliqué un commissaire de police, s'adressant à un automobiliste.

Dimanche, une déclaration symbolique d'«indépendance» des régions anglophones a été proclamée sur les réseaux sociaux par Sisiku Ayuk, «président» de ce nouvel «État» que les séparatistes veulent appeler l'«Ambazonie».

À l'appui de cette proclamation symbolique, les séparatistes anglophones ont tenté de manifester dans les deux régions.

D'importantes forces de sécurité ont été déployées par le pouvoir central de Yaoundé, qui refuse toute indépendance ou tout fédéralisme.

Les forces de l'ordre ont tiré à balles réelles contre les manifestants dans plusieurs villes, notamment à Bamenda, Ndop (40 km de Bamenda), Kumbo, et Kumba, selon des sources concordantes.

Les forces de sécurité ont procédé à des interpellations.

Réagissant sur les réseaux sociaux, le président camerounais Paul Biya a condamné dimanche «de façon énergique tous les actes de violence, d'où qu'ils viennent, quels qu'en soient les auteurs», appelant au «dialogue».

«Le gouvernement a totalement perdu le contrôle» dimanche, estime Hans de Marie Heungoup, chercheur sur le Cameroun au centre de recherche International Crisis Group, qui affirme que des drapeaux «ambazoniens» ont été hissés dans des postes de gendarmerie et de police.

Mesures fortes 

Depuis novembre 2016, la minorité anglophone, qui représente environ 20% des 22 millions de Camerounais et 2 régions sur 10 dans tout le pays, proteste contre ce qu'elle appelle sa «marginalisation» dans la société.

Outre les séparatistes, des anglophones exigent le retour au fédéralisme, qui a prévalu au Cameroun entre 1961 et 1972, avec deux États au sein d'une même République.

La crise a été exacerbée début 2017 avec une coupure de l'internet de trois mois, et s'était amplifiée ces dernières semaines à l'approche de la date symbolique du 1er octobre, malgré la libération de leaders anglophones fin août décrétée par le président Biya.

Le 22 septembre, des dizaines de milliers de séparatistes avaient défilé dans les régions anglophones.

Le gouvernement a pris une série de mesures: couvre-feu, interdiction des réunions de plus de quatre personnes dans l'espace public et des déplacements entre les localités.

L'accès aux réseaux sociaux était limité entre vendredi soir et lundi matin dans les régions anglophones.

Pour sa part, la France s'est dite lundi «préoccupée par les incidents (...) qui ont fait plusieurs victimes» et appelle «l'ensemble des acteurs» à la retenue.

Samedi, l'Union européenne avait appelé «tous les acteurs» à «faire preuve de retenue et de responsabilité». Jeudi, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, avait exhorté les autorités camerounaises «à promouvoir des mesures de réconciliation nationale».