Le président zimbabwéen Robert Mugabe a affirmé un jour comme une boutade qu'il resterait au pouvoir jusqu'à ses 100 ans. À 92 ans, il a été investi samedi par son parti pour la présidentielle de 2018, se rapprochant un peu plus de son souhait.

En plus de trois décennies au pouvoir, le plus vieux chef d'État en exercice dans le monde s'est transformé de héros de l'indépendance et chouchou de l'Occident en tyran qui a provoqué la ruine de son pays.

«Il fut un formidable dirigeant dont le pouvoir a dégénéré au point de mettre le Zimbabwe à genoux», résume Shadrack Gutto, professeur à l'Université sud-africaine Unisa.

En 2005, Mugabe - au pouvoir depuis l'indépendance de l'ex-Rhodésie du Sud britannique en 1980 - avait nargué ses opposants en lançant son intention de fêter ses 100 ans à la présidence.

Mais des dissensions agitent désormais son parti, la Zanu-PF, en prévision de la succession de l'inamovible dirigeant. En outre, des manifestations d'une rare ampleur, alimentées par la grave crise économique, ont fait trembler l'été dernier le pouvoir, qui semble avoir, pour l'heure, eu raison par la répression de ce mouvement de contestation.

Et pourtant, lors de l'indépendance de 1980, Mugabe avait séduit.

«Vous étiez mes ennemis hier, vous êtes maintenant mes amis», lance l'ex-chef de la guérilla à la minorité blanche, quand il prend les commandes d'un Zimbabwe tout neuf.

Il offre des postes ministériels clés à des Blancs et charge Peter Walls, commandant des forces rhodésiennes, de superviser la fusion de l'ancienne armée blanche avec la guérilla. L'Occident salue sa décision d'autoriser l'ex-homme fort de la Rhodésie, Ian Smith, à rester dans le pays.

Bardé de diplômes, Mugabe apparaît comme un dirigeant modèle. En dix ans, le pays progresse à pas de géant: il lance des programmes de construction d'écoles, d'établissements de santé et de nouveaux logements pour la majorité noire, auparavant marginalisée.

Pourtant, le héros africain a la main lourde contre ses opposants.

Dès 1982, il envoie l'armée dans la province «dissidente» du Matabeleland (sud-ouest), terre des Ndebele et de son ancien allié pendant la guerre, Joshua Nkomo. La répression brutale fait environ 20.000 morts.

Le monde ferme les yeux. Le rejet occidental n'éclate qu'avec les dérapages des années 2000, marquées par des abus contre l'opposition, des fraudes électorales et la violente réforme agraire.

Alors qu'il est affaibli politiquement, Mugabe décide de redistribuer par la force les terres agricoles à la majorité noire.

Il lâche les anciens combattants de la guerre d'indépendance sur les fermes toujours aux mains des Blancs. Des centaines de milliers de Noirs deviennent propriétaires, tandis que 4.000 des 4.500 fermiers blancs quittent le pays, dans la précipitation et la violence.

Celui qui incarnait la réussite d'une Afrique indépendante rejoint le rang des parias politiques pour l'Occident.

Rumeurs sur son décès

Né le 21 février 1924 dans la mission catholique de Kutama (centre), Robert Gabriel Mugabe est décrit comme un enfant solitaire et studieux. Il caresse un temps l'idée de s'engager dans la prêtrise. Il devient finalement enseignant.

Marxiste aux premières heures, il découvre la politique à l'Université de Fort Hare, la seule ouverte aux Noirs dans l'Afrique du Sud de l'apartheid.

En 1960, il s'engage dans la lutte contre le pouvoir ségrégationniste, avant d'être arrêté quatre ans plus tard pour «subversion». Il passe dix années en détention.

Peu après sa libération, il trouve refuge au Mozambique voisin, d'où il prend la tête de la lutte armée, avant de devenir chef de gouvernement en 1980.

Les dix premières années voient le Zimbabwe progresser dans tous les domaines. Mais après la réforme agraire de 2000, l'ancien grenier à céréales de l'Afrique australe, plonge dans une crise sans précédent, qui se poursuit aujourd'hui. L'inflation atteint des taux inouïs. La répression s'accentue.

«Mugabe s'est maintenu au pouvoir en (...) écrasant ses opposants, violant la justice, piétinant le droit à la propriété, réprimant la presse indépendante et truquant les élections», souligne Martin Meredith, auteur d'une biographie du leader.

Identifiable à sa fine moustache et ses lunettes, le vieil homme continue de séduire une partie du monde en tenant tête à l'Occident avec ses tirades anti-impérialistes et ses provocations.

Ses problèmes de santé sont de plus en plus scrutés et il a dû démentir plusieurs fois des rumeurs de décès, la dernière en septembre 2016.

En septembre 2015, il avait aussi lu un discours mot pour mot identique à celui qu'il avait prononcé un mois plus tôt, manifestement sans s'en apercevoir.