Le président sud-africain Jacob Zuma et des ministres ont été mis en cause mercredi dans un rapport officiel dénonçant de possibles « crimes » de corruption au sommet de l'État, une pierre supplémentaire dans le jardin du chef de l'État de plus en plus contesté y compris dans son camp.

Ce document très attendu en Afrique du Sud, rédigé par Thuli Madonsela, alors médiatrice de la République, a été publié sur ordre de la justice. Il pointe de lourds soupçons de collusion entre l'exécutif et la richissime famille d'hommes d'affaires Gupta.

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Ces derniers sont soupçonnés d'influencer le président Zuma au point de lui imposer la nomination de certains ministres pour favoriser leurs intérêts.

Le rapport dénonce par exemple les « sept visites » de David van Rooyen, alors député du parti au pouvoir, à la résidence des Gupta à Johannesburg, y compris la veille de sa nomination surprise au ministère des Finances en décembre 2015.

« Cette coïncidence est une grande source d'inquiétude », note le document de 355 pages, intitulé « La Prise de contrôle de l'État » et illustré d'une main qui tire les ficelles du drapeau sud-africain.

Le rapport revient également sur des affirmations du vice-ministre des Finances Mcebisi Jonas, qui a assuré publiquement en mars que les Gupta en personne lui avaient proposé de prendre le portefeuille du Trésor, quelques mois plus tôt.

« Il semble qu'il n'y ait eu aucune enquête de l'exécutif (...) sur les allégations de M. Jonas », critique la médiatrice.

D'autres ministres, présumés proches des Gupta, sont aussi épinglés, notamment l'actuel titulaire du portefeuille des Mines, Mosebenzi Zwane.

Ce dernier avait effectué fin 2015 un voyage privé en Suisse, aux côtés des Gupta, pour négocier le rachat d'une mine de charbon en Afrique du Sud par la sulfureuse famille d'origine indienne. Le déplacement est qualifié, dans le rapport, de « contraire aux règles » d'éthique.

Dans ses recommandations, la médiatrice de la République, chargée du bon usage des deniers publics, appelle le parquet et l'unité d'élite de la police sud-africaine à étudier les « problèmes identifiés dans ce rapport où il semble que des crimes ont été commis ».

photo GIANLUIGI GUERCIA, AFP

Des poubelles ont été mises en feu lors des manifestations de partisans de l'opposition pour réclamer le dévoilement du rapport sur la corruption à la tête de l'État, à Pretoria, le 2 novembre.

« Jour historique »

La sortie de ce rapport n'a pas été un long fleuve tranquille.

Finalisé mi-octobre par Thuli Madonsela quelques jours avant qu'elle ne quitte son poste après sept ans de mandat, sa publication a été reportée à la suite d'un recours en justice de dernière minute lancé par le président Zuma.

Mercredi, le chef de l'État a finalement fait volte-face et le tribunal de Pretoria a ordonné la publication « immédiate » du rapport.

Cette décision, accueillie sous les applaudissements dans la salle du tribunal, a été immédiatement saluée par l'opposition, sur fond d'appels de plus en plus pressants dans le pays à la démission du président Zuma.

« C'est un jour historique (...), un moment clé pour l'Afrique du Sud, et Jacob Zuma doit rendre des comptes », a réagi le dirigeant de l'Alliance démocratique (DA, opposition), Mmusi Maimane, qui envisage de lancer une procédure de destitution du président.

« C'est une victoire pour la démocratie, pour l'État de droit, pour la justice », a renchéri Eric Mabuza, l'avocat du parti de gauche radicale des Combattants pour la liberté économique (EFF).

Des milliers de partisans de l'opposition, qui manifestaient à proximité du tribunal, se sont dirigés vers le palais présidentiel, où la police antiémeute a réagi en tirant des balles en caoutchouc et utilisé des canons à eau pour tenter de disperser la foule.

Guerre politique

Si Jacob Zuma a survécu à de nombreux scandales depuis sa prise de fonction en 2009, il est aujourd'hui de plus en plus critiqué après le revers historique de l'ANC lors des municipales d'août.

La publication de ce rapport sur la corruption au sommet de l'État risque de le fragiliser un peu plus, y compris au sein de son parti en proie à une guerre ouverte entre les pro et les anti-Zuma.

« Les dommages qu'il cause au pays et à l'ANC s'accumulent », note Mcebisi Ndletyana, professeur en sciences politiques à l'Université de Johannesburg.

« Les appels à sa démission face à ces éléments accablants vont aller en crescendo » y compris au sein de son parti, avance-t-il dans une interview à l'AFP.

Mardi, dans une charge inédite, la très respectée fondation Nelson Mandela avait appelé au départ du chef de l'État. Tout comme l'un des principaux syndicats de la fonction publique, Nehawu, allié historique de l'ANC.

photo GIANLUIGI GUERCIA, AFP

Des partisans du parti d'opposition EEF manifestent devant la Haute cour de Pretoria pour réclamer la publication du rapport sur la corruption à la tête de l'État sud-africain, le 2 novembre.