Un djihadiste malien a demandé pardon lundi à son peuple en plaidant coupable à l'ouverture de son procès historique à la CPI, alors qu'ont été diffusées à l'audience des images le montrant en train de détruire à l'aide d'une pioche de célèbres mausolées de Tombouctou.

C'est une avalanche de premières pour ce procès devant la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, et qui devrait durer une semaine: le premier pour destruction de patrimoine culturel, le premier où un accusé plaide coupable, le premier pour un djihadiste présumé et le premier lié au conflit malien.

«Votre Honneur, j'ai le regret de dire que tout ce que j'ai entendu jusqu'à présent est véridique et reflète les événements», a affirmé Ahmad Al Faqi Al Mahdi, environ 40 ans, après la lecture des charges: «je plaide coupable».

Le Touareg est accusé d'avoir «dirigé intentionnellement des attaques» contre neuf des mausolées de Tombouctou et contre la porte de la mosquée Sidi Yahia, classés au patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO, entre le 30 juin et le 11 juillet 2012.

«Je me tiens devant vous dans cette enceinte plein de remords et de regrets», a-t-il ajouté, demandant à ses compatriotes de le considérer comme «un fils ayant égaré son chemin».

«Page noire»

Fondée au Ve siècle par des tribus touareg, la ville de Tombouctou (nord-ouest du Mali) est devenue un grand centre intellectuel de l'islam et a connu son apogée au XVe siècle.

En tant que chef de la Hisbah, la brigade islamique des moeurs, Ahmad Al Faqi Al Mahdi aurait ordonné et participé aux attaques contre les mausolées.

«Ces bâtiments étaient les plus connus de Tombouctou et faisaient partie de son héritage historique, ils faisaient partie de l'histoire du Mali et de celle du monde», a affirmé la procureure Fatou Bensouda.

«Ce qu'il s'est passé à Tombouctou est une page noire dans l'histoire de la ville», a-t-elle ajouté.

Kalachnikovs à l'épaule, pioches et haches à la main, les djihadistes font tomber les murs en terre crue par pans entiers: l'accusation a diffusé lundi lors de l'audience de nombreuses vidéos des destructions et de l'accusé, reprenant notamment les interviews qu'il avait accordées à l'époque à des médias français.

Neuf à 11 ans de prison

Selon l'accusation, cet homme aux petites lunettes, à l'abondante chevelure bouclée et au costume impeccable, était un membre d'Ansar Dine, l'un des groupes djihadistes liés à Al-Qaïda ayant contrôlé le nord du Mali pendant environ 10 mois en 2012.

Les personnages vénérés enterrés dans les mausolées valent à Tombouctou son surnom de «Cité des 333 saints». Des saints considérés, selon des experts maliens de l'islam, comme les protecteurs de la ville.

L'accusation va demander une peine comprise entre neuf et 11 ans de détention, a affirmé un membre du bureau du procureur. L'accusé s'est engagé à ne pas faire appel si la condamnation rentre «dans cette échelle», a précisé un de ses avocats.

Pour la procureure Fatou Bensouda, «ce procès est un événement marquant». «La CPI et mon bureau envoient un signal très fort: ces sortes de crimes sont des crimes de guerre», a-t-elle déclaré à l'AFP.

Ahmad Al Faqi Al Mahdi, qui a assuré avoir été à l'époque «sous l'emprise d'une bande de leaders d'Al-Qaïda et d'Ansar Dine», a lancé «un message à tous les musulmans du monde entier»: «qu'ils résistent à ce genre d'actions dont les conséquences n'ont pas de limites et pas de bénéfices».

Évoquant lundi dans un communiqué la «vague croissante et inquiétante de destructions délibérées d'héritage culturel dans des situations de conflit armé», le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a qualifié ces attaques d'«agression brutale de la dignité et de l'identité de populations entières et de leurs racines historiques et religieuses».

Tout en se félicitant de l'ouverture du procès, les ONG appellent la procureure à élargir son champ d'action: «nous devons nous assurer que justice soit rendue pour les autres crimes commis au Mali depuis 2012, notamment les meurtres, viols, torture de civils», a ainsi affirmé Amnesty International dans un communiqué.