Quelque «300 000 à 400 000» personnes en Érythrée sont «des esclaves» du fait du service militaire illimité, a affirmé mercredi à Genève Mike Smith, président de la Commission d'enquête sur l'Érythrée du Conseil des droits de l'homme de l'ONU.

La Commission, dont le deuxième rapport (en anglais) a été publié mercredi, dénonce notamment la durée illimitée du service militaire ou du service national. «Les responsables érythréens exercent ainsi un droit de propriété sur les citoyens érythréens», indique ce rapport, qui ajoute qu'il «y a de bonnes raisons de croire que les responsables érythréens ont commis le crime d'esclavage, un crime contre l'humanité, de manière systématique et persistante depuis 2002».

«Très peu d'Érythréens sont libérés de leurs obligations de service militaire», a fait valoir M. Smith lors d'une conférence de presse. Cette obligation de servir indéfiniment l'armée est un des motifs pour lesquels les Érythréens fuient par milliers ce petit pays de la Corne de l'Afrique comptant 6,5 millions d'habitants.

Pour la Commission d'enquête, la conscription militaire doit être ramenée à un an et demi au maximum comme prévu.



Des crimes contre l'humanité depuis 1991

Selon le rapport, des «crimes contre l'humanité ont été commis de manière généralisée et systématique en Érythrée dans les centres de détention, les camps d'entraînement militaires et d'autres endroits à travers le pays au cours des 25 dernières années».

Des crimes contre l'humanité ont été commis dans le pays depuis 1991, année où il a gagné sa guerre d'indépendance.

La Commission écrit notamment qu'elle «a de bonnes raisons de croire que des crimes contre l'humanité, tels que l'esclavage, l'emprisonnement, la disparition forcée, la torture et d'autres actes inhumains, comme la persécution, le viol et le meurtre, ont été commis en Érythrée depuis 1991».

«L'Érythrée est un État autoritaire, il n'y aucun pouvoir judiciaire indépendant, pas d'Assemblée nationale, et pas d'institutions démocratiques (...) il y a un climat d'impunité pour les crimes contre l'humanité commis depuis un quart de siècle», a déclaré le président de la Commission d'enquête.

En conséquence, la Commission recommande que le «Conseil de sécurité porte» le dossier de la situation de l'Érythrée au procureur de la Cour pénale internationale, afin qu'il l'étudie. En outre, la Commission demande aux «États membres de l'ONU d'exercer leurs obligations de poursuivre ou d'extrader tout individu suspecté de crime international et qui est présent sur leur territoire» et de prendre des «mesures ciblées» contre des personnes responsables de ces crimes.

Interrogé sur leurs noms, M. Smith a refusé de répondre.

Le premier rapport de la Commission d'enquête (en anglais), déjà très critique, avait été publié en juin 2015.

Dans ce premier rapport, la Commission dénonçait les «violations systématiques et à grande échelle» des droits de l'homme par le gouvernement d'Érythrée, qui poussent des milliers de nationaux à fuir le pays chaque mois.

Son mandat avait été prolongé d'un an pour enquêter cette fois-ci sur les «crimes contre l'humanité».

Concernant les nombreux Érythréens qui cherchent à fuir leur pays, M. Smith a indiqué que la Commission «estime qu'il y a toujours une politique de "tirer pour tuer", à l'encontre de ceux qui cherchent à traverser la frontière».

En 2015, plus de 47 000 Érythréens ont demandé l'asile en Europe, et la Commission d'enquête demande aux pays de leur accorder le statut de réfugié.

Parmi les recommandations qu'elle présentera au Conseil des droits de l'homme, la Commission d'enquête demande au gouvernement érythréen d'appliquer la Constitution de 1997 et de ratifier plusieurs conventions qui garantissent les droits de l'homme.

Elle souhaite la mise en oeuvre des Codes pénal, de procédure pénale, civil et de procédure civile de mai 2015.

L'Érythrée est un petit pays fermé de la Corne de l'Afrique, qui a acquis son indépendance en 1991, après une guerre de 30 ans contre l'Ethiopie. Depuis 1993, le pays est dirigé d'une main de fer par le régime d'Issaias Afeworki.

Les Érythréens, qui fuient le régime en masse, se réfugient en Europe essentiellement en Suède, en Allemagne, en Suisse et aux Pays-Bas.

Photo AFP

Mike Smith, président de la Commission d'enquête sur l'Érythrée du Conseil des droits de l'homme de l'ONU.