Les difficultés du gouvernement sud-soudanais et de l'opposition à s'accorder sur les conditions du retour à Juba du chef des rebelles Riek Machar, chaque jour repoussé depuis le début de la semaine, illustrent la défiance profonde qui les oppose et augurent mal de l'avenir.

Dans un pays où la guerre civile débutée en décembre 2013 a fait des dizaines de milliers de morts (le bilan exact est inconnu) et plus de 2,3 millions de déplacés, le processus de paix a failli avorter pour des détails.

Le retour de M. Machar, qui doit prendre à Juba ses fonctions de vice-président, était initialement prévu lundi. Il a ensuite achoppé sur la quantité d'armements que sa garde rapprochée devait apporter dans la capitale. 

Les deux camps se sont finalement mis d'accord vendredi sur le fait que M. Machar pourrait venir avec 195 soldats et collaborateurs, qui apporteront 20 mitrailleuses et 20 lance-roquettes.

Le gouvernement du président Salva Kiir a cependant indiqué qu'il vérifierait au départ de l'appareil depuis Gambela (ouest de l'Éthiopie) que les clauses de l'accord sont respectées, ce qui pourrait bien entraîner encore du retard.

La futilité des discussions au regard de l'importance des enjeux a suscité l'incompréhension et la colère des diplomates étrangers. «C'est presque incroyable», confie l'un d'eux, totalement exaspéré.

Riek Machar a été réinstallé au poste de vice-président en février par Salva Kiir. Il doit rentrer à Juba pour former avec celui-ci un gouvernement de transition, dans le cadre de l'accord de paix signé le 26 août 2015.

«Extrêmement soupçonneux»

La communauté internationale a fixé à samedi la date limite pour qu'un accord soit conclu permettant à M. Machar, qui a passé ces derniers jours dans sa base de Pagak, à la frontière avec l'Éthiopie, de revenir dans la capitale où il n'a plus mis les pieds depuis le début de la guerre.

«Si nous ne sommes pas capables d'arriver à un accord, alors c'est la rupture totale», avait prévenu l'ancien chef d'État botswanais Festus Mogae, qui préside la Commission de surveillance et d'évaluation (JMEC) de l'accord de paix.

Pour de nombreux observateurs, ce blocage était surtout révélateur de l'animosité et l'absence totale de confiance entre MM. Machar et Kiir.

«Les deux camps sont extrêmement soupçonneux», explique Alfred Taban, le rédacteur en chef du journal indépendant Juba Monitor. «Mais les gens en ont marre de la guerre. Ils veulent un peu de bon sens.»

Le Soudan du Sud a plongé dans la guerre civile en décembre 2013 quand des combats ont éclaté au sein de l'armée nationale, minée par des dissensions politico-ethniques alimentées par la rivalité à la tête du régime entre MM. Kiir et Machar.

Tant le gouvernement que l'opposition ont été accusés d'avoir commis des massacres à caractère ethnique, des viols, des tortures, des meurtres, d'avoir recruté des enfants et d'avoir provoqué des déplacements forcés de populations.

Même pour les plus optimistes, le retour de M. Machar à Juba pourrait ne pas mettre fin aux combats, qui n'ont jamais cessé malgré la signature de l'accord de paix.

«Un mariage forcé»

Les diplomates observent que ce sera au mieux le retour au statu quo d'avant la guerre, sans que la lutte de pouvoir entre MM. Machar et Kiir ait été réglée.

Riek Machar avait déjà occupé le poste de vice-président entre juillet 2011 - date de l'indépendance - et juillet 2013, quand il avait été démis de ses fonctions par Salva Kiir.

«Maintenant, l'économie aussi est en crise et il y a deux ans de divisions en plus», se désespère un diplomate étranger.

«C'est seulement hypocrite de penser que (le) retour (de M. Machar) et la création d'un gouvernement dont il ferait partie seraient la panacée», estime Jok Madut Jok, un ancien haut responsable gouvernemental, qui dirige le centre de réflexion Sudd Institute.

Même si MM. Kiir et Machar arrivaient à mettre de côté leur rivalité et à travailler ensemble, ils devraient composer dans leur propre camp avec des commandants peu disposés au moindre compromis.

«La communauté internationale tire les deux hommes, qui s'écrient et se débattent, vers un mariage forcé», résume J. Peter Pham de l'institut de réflexion basé à Washington, Atlantic Council.