Le spectre du génocide et de la guerre civile plane sur le Burundi, ont estimé séparément jeudi l'Union africaine (UA) et l'ONU, exprimant en des termes particulièrement forts leurs inquiétudes sur la crise qui enflamme ce petit pays des Grands Lacs depuis bientôt huit mois.

«L'Afrique ne permettra PAS un autre génocide sur son sol», a fait savoir sur Twitter le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l'UA, durant une réunion largement consacrée au Burundi, voisin du Rwanda où le génocide de 1994 a fait 800 000 morts, essentiellement au sein de la minorité tutsi.

«Un message très clair sort de la réunion en cours du CPS: les tueries au Burundi doivent cesser immédiatement», a martelé le Commissaire Paix et Sécurité de l'UA, Smail Chergui, alors que les membres du Conseil débattaient «de l'urgente nécessité de mesures pour mettre fin aux tueries».

De son côté, le Haut-commissaire aux droits de l'homme des Nations unies Zeid Ra'ad Al Hussein a estimé à Genève que le Burundi était «au seuil d'une guerre civile» et a appelé la Cour pénale internationale (CPI) à se pencher sur la situation.

Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a demandé dans la foulée l'envoi «en urgence» au Burundi d'experts indépendants pour enquêter sur les exactions en cours.

Les ministres africains du CPS ont eux étudié un «possible déploiement d'une force africaine au Burundi», en l'espèce la composante est-africaine de la Force Africaine en Attente (FAA).

Ces diverses déclarations interviennent quasiment une semaine après l'attaque le 11 décembre de trois camps militaires à Bujumbura et en province, les affrontements les plus intenses depuis une tentative ratée de coup d'État militaire les 13 et 14 mai.

«Point de rupture»

Les assauts repoussés, les affrontements qui s'en sont suivis et de sanglantes opérations de «ratissage» dans la capitale ont fait au total 87 morts - 79 «ennemis» et 8 soldats et policiers -, selon le bilan officiel. «Mais les chiffres que nous avons reçus d'autres sources sont considérablement plus élevés», a expliqué Zeid Ra'ad Al Hussein.

La Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) a indiqué jeudi avoir recensé au moins 154 victimes civiles.

Ces événements «sont la manifestation choquante de ce qui arrive quand un pays est au point de rupture et prêt à basculer à la moindre incitation», a déclaré M. Zeid.

Le Burundi a plongé dans une profonde crise politique depuis la candidature fin avril de son président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat que l'opposition, la société civile et une partie de son propre camp estiment contraire à la Constitution et à l'Accord d'Arusha ayant permis la fin de la guerre civile (1993-2006) entre l'armée dominée alors par la minorité tutsi et des rébellions hutu.

La mise en échec du putsch, la répression brutale de six semaines de manifestations quasi quotidiennes à Bujumbura à la mi-juin et la réélection de M. Nkurunziza lors d'un scrutin controversé à la mi-juillet n'ont pas empêché l'intensification des violences.

Les armes pullulent désormais dans les quartiers contestataires de Bujumbura et les attaques sont quasi-quotidiennes contre la police, de son côté accusée par les défenseurs des droits de l'homme d'arrestations arbitraires et de nombreuses exécutions extrajudiciaires.

«Au moins 400 personnes ont été tuées depuis le 26 avril et le bilan pourrait être considérablement plus élevé», a estimé M. Zeid jeudi, soulignant que 68 personnes avaient été victimes d'exécutions extrajudiciaires durant le seul mois de novembre.

Elisa Nkerabirori, représentante du ministère burundais des Droits de l'homme, a répondu en accusant les acteurs internationaux de «dissimuler délibérément la réalité» et de «soutenir l'opposition radicale».

Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon avait déjà estimé mercredi que le Burundi était «au bord d'une guerre civile qui risque d'embraser toute la région» très instable des Grands Lacs et l'UA avait averti en novembre des potentielles «conséquences dévastatrices» de la crise pour le pays, à l'histoire postcoloniale jalonnée de massacres entre Hutus et Tutsis.

Adama Dieng, conseiller de l'ONU pour la prévention des génocides, avait déjà évoqué début décembre le parallèle avec le Rwanda. Il avait accusé gouvernement et opposition de manipuler tous deux les tensions Hutus-Tutsis au Burundi, estimant que la rhétorique utilisée ressemblait à celle entendue au Rwanda avant le génocide de 1994.